🎤 Hugging Face : le poids-lourd de l'IA open source (Clément Delangue, Hugging Face)
19 mars 202527:54

🎤 Hugging Face : le poids-lourd de l'IA open source (Clément Delangue, Hugging Face)

Interview exclusive de Clément Delangue, cofondateur et CEO de Hugging Face, la startup franco-américaine, valorisée à plusieurs milliards de dollars, devenue un acteur incontournable pour les développeurs et entreprises souhaitant créer leurs propres modèles d'IA.

“L'open source est la clé pour démocratiser l'intelligence artificielle”

Interview : Clément Delangue, co-fondateur et CEO de Hugging Face

Peux-tu nous rappeler ce qu’est exactement Hugging Face ?

Clément Delangue : Hugging Face est la plateforme la plus utilisée par les AI Builders, ces chercheurs et ingénieurs qui conçoivent des modèles d'intelligence artificielle. Nous comptons près de 10 millions d'utilisateurs et plus de 400 000 applications développées sur notre plateforme. Concrètement, nous mettons à disposition des modèles open source, des jeux de données et des outils permettant aux entreprises et aux développeurs de construire leurs propres solutions d'IA, sans dépendre d'acteurs fermés comme OpenAI. Aujourd’hui, lorsque Meta, Mistral ou Deep Seek publient un nouveau LLM, ils le font sur Hugging Face.

Pourquoi miser sur l’intelligence artificielle en open source ?

L'open source permet à chacun de contribuer, d'innover et de bénéficier des avancées technologiques. C’est l’arme des challengers face aux leaders, comme OpenAI, qui exploitent de modèles fermés. La Chine, par exemple, mise beaucoup sur l'open source pour rattraper son retard en IA. De plus, d'un point de vue éthique, il est essentiel que cette technologie ne soit pas contrôlée par une poignée d'acteurs privés. Si seuls OpenAI et Microsoft détenaient les clés de l'IA, ce serait un risque majeur.

Quelles sont les prochaines évolutions de l'IA ?

L'avenir de l'IA passe par des modèles plus petits, plus efficaces et mieux adaptés aux besoins spécifiques des entreprises. Plutôt qu'une intelligence artificielle générale et centralisée, nous croyons à un modèle décentralisé, où chaque organisation pourra développer sa propre IA sur mesure. Cela permettra de réduire la consommation énergétique et de rendre l'IA accessible à tous, sans dépendre d'un petit nombre d'acteurs privés.

Hugging Face est souvent citée comme un exemple de réussite française mais tu vis aux Etats-Unis. Quel est le lien avec la France aujourd’hui ?

Nous sommes une entreprise à la fois française et internationale. Les trois cofondateurs sont français et notre plus grand bureau se trouve à Paris. Nous avons d'ailleurs récemment ouvert un nouvel espace Passage du Caire. Hugging Face est née à Station F, avec une philosophie très française d'ouverture et de collaboration. Je vis personnellement à Miami car c’est devenu un pôle important en matière de tech et évidemment aussi parce que la vie y agréable.

Lien : https://huggingface.co/


Clément Delangue : [0:01] On est vraiment la plateforme de référence, c'est-à-dire que quand vous avez

Clément Delangue :
[0:04] un Deep-Seek qui va lancer un modèle, ils le font sur Hugging Face.

Clément Delangue :
[0:08] Quand vous avez un Mistral qui va lancer un modèle, ils le font sur Hugging Face. Donc, on a la chance d'avoir cette position très centrale.

Monde Numérique :
[0:22] Bonjour Clément Delangue.

Clément Delangue :
[0:24] Bonjour.

Monde Numérique :
[0:25] Merci d'être dans Monde Numérique en ligne depuis Miami, en Floride, où vous habitez. Vous êtes donc cofondateur et dirigeante de la startup Hugging Face, la fameuse startup Hugging Face franco-américaine, valorisée à plusieurs milliards de dollars, une pépite, comme on dit, souvent citée d'ailleurs par les responsables politiques français. Alors très connue dans le monde de la tech, pas forcément auprès du grand public. Est-ce que vous pouvez nous rappeler un petit peu exactement ce que c'est qu'Hugging Face ?

Clément Delangue :
[0:55] Oui, à Hugging Face, on a eu la chance de devenir la plateforme la plus utilisée par ce qu'on appelle les AI builders, c'est-à-dire toutes les personnes qui créent de l'intelligence artificielle. Donc, on a bientôt 10 millions d'utilisateurs qui viennent sur Hugging Face pour trouver des modèles. Par exemple, si vous connaissez les modèles de Mistral, les modèles de Meta, Lama, les modèles de DeepSync, pour trouver des jeux de données, des datasets et pour construire des applications. Donc, on est devenu une sorte d'app store de l'intelligence artificielle avec plus de 400 000 applications qui ont été créées sur la plateforme, sur Hugging Face.

Monde Numérique :
[1:40] Donc, vous ne créez pas vous-même de modèles d'intelligence artificielle, mais vous mettez à disposition des modèles qui sont open source et donc n'importe qui peut les utiliser et même les adapter à ses propres besoins.

Clément Delangue :
[1:53] C'est ça, oui. C'est un peu comme une bibliothèque, on va dire, la version intelligence artificielle de la bibliothèque, où n'importe quelle entreprise, n'importe quelle organisation, n'importe quelle personne peut venir sur la plateforme, trouver un modèle open source, donc gratuit, et construire leur propre application d'intelligence artificielle. Nous, notre vision, c'est qu'à terme, toutes les entreprises, toutes les organisations vont être capables de créer de l'intelligence artificielle elles-mêmes, qu'elles ne vont pas devoir dépendre d'un Open AI, d'un anthropique. Et du coup, on a construit la plateforme qui permet de faire ça.

Monde Numérique :
[2:29] Très bien. Justement, on va en parler. C'est super intéressant, cette vision très open source de l'IA. Ça détermine beaucoup de choses. C'est très à la mode aussi, l'open source. Mais avant ça, c'est rigolo parce que c'est une entreprise pas banale. GinkFest, je disais, moitié franc. Enfin, je ne sais pas, vous êtes français, vous êtes américain ?

Clément Delangue :
[2:46] Vraiment, on se définit comme franco-américain, même plus largement international, parce que notre communauté, elle est partout dans le monde. Mais on a un très fort attachement français parce que les trois cofondateurs de Hugging Face sont français, que la France est le plus gros bureau. Donc à Paris, on vient d'ouvrir en décembre un nouveau bureau Passage du Caire. Donc la majorité de nos équipes sont en France.

Monde Numérique :
[3:14] Et l'entreprise est née à Station F, je crois.

Clément Delangue :
[3:16] C'est ça, on a commencé à Station F. Et en termes de philosophie d'entreprise, Je pense qu'on a quand même un gros héritage français avec cette volonté de créer un modèle très ouvert, très collaboratif, gratuit et qui a vocation à vraiment démocratiser la technologie.

Monde Numérique :
[3:37] Et puis alors, sur le plan de l'organisation, c'est assez original parce que vous êtes en réalité éclaté entre plusieurs pays, c'est ça ? La France, les États-Unis, donc Miami, Miami qui est devenue ces dernières années une espèce de haut lieu de la technologie.

Clément Delangue :
[3:51] Oui, c'est ça. Miami est vraiment devenu un centre, un point de passage important pour la plupart des fondateurs, investisseurs américains et aussi internationaux. De plus en plus aussi, de manière assez intéressante, un centre aussi politique parce qu'on a Mar-a-Lago qui est un peu le QG de Trump à une heure de distance de Miami. Donc, oui, c'est devenu un peu un endroit central.

Clément Delangue :
[4:22] Et qui est vraiment bien pour les fondateurs français comme moi parce que c'est sur la côte est des Etats-Unis donc on peut très facilement revenir en France on a une time zone qui est pas trop c'est moins loin que la Californie donc c'est on a pas mal d'entrepreneurs français ici je pense qu'il y a une entreprise comme Suits, qui est basée ici Benjamin Zenou donc ouais c'est un bon endroit Miami à être pour les entrepreneurs français aux Etats-Unis si on en a qui nous écoutent aujourd'hui.

Monde Numérique :
[4:52] Et puis, accessoirement, la qualité de la vie n'est pas trop mal non plus.

Clément Delangue :
[4:55] Oui, c'est super. Il fait beau toute l'année. C'est la plage. Donc, oui, c'est un cadre de vie très plaisant.

Monde Numérique :
[5:04] Alors, malgré tout, ça ne vous empêche pas de bosser, donc, visiblement. Et je le disais, Hugging Face a connu une croissance vraiment phénoménale. Vous en êtes où aujourd'hui ? Vous vous situez comment ? Vous faites partie des poids lourds, vraiment, de la tech en matière d'IA ?

Clément Delangue :
[5:17] Oui, parce qu'en termes d'utilisation, on est vraiment central. Aujourd'hui, on est la plateforme qui a le plus d'utilisation chez les AI Builders. On est vraiment la plateforme de référence, c'est-à-dire que quand vous avez un DeepSync qui va lancer un modèle, ils le font sur Hugging Face. Quand vous avez un Mistral qui va lancer un modèle, ils le font sur Hugging Face. Donc, on a la chance d'avoir cette position très centrale dans la communauté, qui est aidée par le fait qu'on est en fait très collaboratif avec tout le monde. Notre but, c'est vraiment pas de uniquement créer une plateforme, une entreprise, mais vraiment de donner le maximum de capacité à toutes les entreprises en fonction.

Clément Delangue :
[5:56] Dans le monde et de rendre les autres entreprises successives et de les faire marcher. Donc, ouais.

Monde Numérique :
[6:04] Clément, qui sont vos utilisateurs, vos clients, en fait ? C'est quoi ? C'est des particuliers, des entreprises ?

Clément Delangue :
[6:10] Du coup, c'est 10 millions. C'est vraiment des chercheurs en intelligence artificielle, des ce qu'on appelle les ML engineers, des ingénieurs en intelligence artificielle jusqu'à des ingénieurs en informatique plus classique. Donc, ça, c'est nos utilisateurs et du coup ceux qui nous payent nos consommateurs c'est les entreprises, qui emploient ces AI Builders donc aujourd'hui on a plus de 5000 clients qui nous payent sur un modèle assez classique on l'appelle freemium c'est-à-dire que l'essentiel de la plateforme gratuite est open source et on a une petite partie qui est payante notamment quand c'est des grosses entreprises qui l'utilisent quand vous avez un Google un Amazon un Nvidia un IBM qui nous utilisent ils deviennent payants et c'est cette partie payante qui sponsorise en quelque sorte la partie open source et gratuite on a la chance d'être profitable aujourd'hui ce qui est très rare pour les startups dans l'intelligence artificielle souvent c'est plutôt l'inverse c'est-à-dire qu'elles elles dépensent énormément d'argent elles perdent énormément d'argent nous c'est l'inverse on a pris une approche un peu différente sur cet aspect-là.

Monde Numérique :
[7:23] C'est la startup bon père de famille quoi.

Clément Delangue :
[7:26] Ouais en quelque sorte vous.

Monde Numérique :
[7:27] Gagnez de l'argent avant de le dépenser.

Clément Delangue :
[7:28] En quelque sorte ouais en fait on pense que comme on a une plateforme pour la communauté on a envie d'être vraiment là sur le long terme et de fournir vraiment une sécurité à nos utilisateurs qui se disent pas bah demain Hugging Face va fermer, Et du coup, on prend une approche un peu plus long terme où on se dit, voilà, comment on construit une plateforme comme ça sur les dix prochaines années.

Monde Numérique :
[7:50] Et vous leur offrez les modèles, les datasets qui servent à entraîner les modèles, donc les données, et également du stockage. Il y a du stockage et puis de l'infra.

Clément Delangue :
[8:02] Voilà, du stockage et puis de l'infrastructure pour vraiment faire ce qu'on appelle l'inférence et l'entraînement des modèles d'intelligence artificielle.

Monde Numérique :
[8:11] Et si je suis un utilisateur, par exemple, je vais aller faire mon marché, choisir tel ou tel modèle. Et dans ce cas-là, je fais quoi ? Je le télécharge et je vais le faire fonctionner chez moi sur mon infrastructure ou ça reste chez vous et je vais bénéficier de vos...

Clément Delangue :
[8:25] Comme tu veux. Comme tu veux. Nous, en fait, ce qu'on fournit, c'est vraiment une plateforme très adaptable en fonction de ton besoin, en fonction de ce que tu préfères. Tu peux même aller plus loin. C'est-à-dire que, par exemple, si tu dis pour le monde numérique, tu as besoin d'une application qui va t'enlever le son externe pour t'aider, par exemple, à faire ton montage final de podcast, tu vas sur Hugging Face, sur l'App Store de Hugging Face et tu vas trouver une application directement qui va pouvoir te faire ça même sans faire de code. Donc, progressivement, un truc intéressant, c'est qu'on est devenu vraiment un App Store même pour les gens qui ne développent pas eux-mêmes. Donc, chez nous, ça s'appelle Spaces. C'est notre App Store où vous avez plus de 400 000 applications qui permettent vraiment de faire tout et tout et n'importe quoi, du traitement d'images, de vidéos, d'audio, des modèles, des démos de biologie, de chimie, qui vont vous permettre aussi de faire du chatbot, un peu comme ChatGPT.

Clément Delangue :
[9:25] On a notre version qui s'appelle Hugging Chat, qui est une version ouverte de ChatGPT. Donc, on est vraiment devenu progressivement une plateforme assez généraliste pour toutes sortes d'utilisateurs.

Monde Numérique :
[9:35] Donc, il y a vraiment une partie qui est destinée aux professionnels de l'IA, des entreprises ou des professionnels qui sont capables eux-mêmes de mettre en place des outils, des entraînés, etc. Et puis, une partie beaucoup plus accessible, en fait, c'est quasiment du grand public. Je vois, il y a générateurs de podcasts Cocoro, usines de bandes dessinées par intelligence artificielle, etc.

Clément Delangue :
[10:00] Oui, parce qu'en fait, on a tellement de gens qui construisent de l'intelligence artificielle qui ensuite passent par notre plateforme pour distribuer ça en public.

Monde Numérique :
[10:09] C'est ça vraiment qui fait votre particularité. Donc, vous avez beaucoup grossi, vous avez fait beaucoup d'acquisitions aussi, des entreprises d'autres boîtes.

Monde Numérique :
[10:18] Et puis, vous innovez. Récemment, tu annonçais sur X que vous aviez lancé un truc. Alors, il faut expliquer ce que c'est parce que je ne sais pas du tout. Donc un manuel de jeu à très grande échelle enfin en anglais c'est Ultra Scale Playbook c'est quoi ça ?

Clément Delangue :
[10:32] C'est en fait un manuel qui va permettre à n'importe quelle entreprise n'importe quelle organisation d'entraîner leur propre modèle comme le fait un Mistral par exemple, donc vous êtes par exemple une banque vous êtes un média toutes sortes d'entreprises et vous vous dites bon un modèle, généraliste comme Mistral, c'est bien, mais j'ai un peu mes spécificités, j'ai mes contraintes, j'ai mon domaine qui est un peu spécifique, je vais entraîner mon propre modèle d'intelligence artificielle. Vous pouvez donc suivre ce manuel et faire ça, faire ça vous-même sur vos propres données. Nous, à terme, ce qu'on pense, c'est que l'intelligence artificielle, ça va être comme le software, comme le logiciel. C'est-à-dire que n'importe qui, de la même manière que tous les développeurs et la plupart des entreprises écrivent leurs propres codes, leurs propres logiciels, on pense que ça va être la même chose sur l'intelligence artificielle et que toutes les entreprises vont être capables d'entraîner leurs propres modèles qui vont leur permettre de fournir un service, optimisé, customisé pour leurs propres utilisateurs.

Monde Numérique :
[11:44] Donc c'est le contraire de ce qu'on voit aujourd'hui finalement avec un chat GPT qui est une solution propriétaire qui fonctionne sur des gros data qui ne sont pas au sein des entreprises qui les utilisent. Qui sont des algos propriétaires, des solutions propriétaires, etc. Vous, vous êtes à l'antithèse de ce concept-là.

Clément Delangue :
[12:04] Oui, à l'antithèse. Alors, ce concept-là, c'est plus une perception qu'une réalité parce que déjà sur Hugging Face, on a un nouveau modèle de jeux de données ou applications créées toutes les 10 secondes. Il y a plus d'un million et demi de modèles qui ont été créés sur Hugging Face. Donc les entreprises déjà créent leur propre modèle et tout le monde ne dépend pas d'OpenAI donc c'est plus une perception qu'une réalité mais on pense que ça va s'intensifier dans les prochains mois dans les prochaines années où vraiment on aura toutes les entreprises qui vont créer leur propre intelligence artificielle en s'appuyant bien sûr sur des modèles open source parfois comme des Mistral comme des Lama.

Monde Numérique :
[12:54] Donc on comprend bien pourquoi, effectivement, tu es un avocat, un défenseur convaincu de l'open source. Et c'est vrai que c'est un discours qu'on entend de plus en plus, qui rentre en résonance avec les discours officiels. Mais on a l'impression que, et même à des échelles vraiment de pays, d'États, aujourd'hui, l'open source, c'est quasiment là-dessus que l'Europe a officiellement l'intention de s'appuyer pour développer de l'IA. La Chine aussi, DeepSeek est un modèle open source. L'open source, c'est un peu l'arme du challenger. Ça l'a toujours été, ça l'a été dans le logiciel. Est-ce que tu penses que ça va donc suivre le même chemin ? C'est-à-dire vraiment, c'est ça qui va monter en puissance ?

Clément Delangue :
[13:34] Oui, comme tu le dis, en fait, l'open source, c'est un moyen pour les pays ou les organisations challengers de rattraper plus rapidement. Parce qu'en fait, en poussant l'open source, Vous avez de plus en plus de collaborations entre les différentes organisations qui construisent au-dessus l'un de l'autre, qui se challengent, qui s'émulent et qui partagent ce savoir et cet apprentissage et du coup ça permet de développer la technologie plus rapidement.

Clément Delangue :
[14:07] À mon avis, c'est ça qui a permis aux États-Unis de devenir le leader entre 2016 et 2022. Tout était ouvert aux États-Unis et toutes les entreprises, toutes les organisations construisaient au-dessus l'un de l'autre. Et tu avais cette émulation très forte qui faisait que le cycle de progrès était très rapide et a amené à ce leadership américain.

Clément Delangue :
[14:32] Donc, je pense que tous les autres pays devraient faire la même chose. La Chine l'a très bien compris puisque depuis 2-3 ans c'est ce qu'ils font et ça leur permet de rattraper comme ce qu'on peut voir avec DeepSync, et aussi les entreprises je pense devraient faire la même chose les startups les petites entreprises devraient s'appuyer là-dessus de plus en plus pour réussir à rattraper et au-delà de l'aspect un peu on va dire utilitaire, de l'open source moi ce que je trouve intéressant et important c'est l'aspect aussi éthique parce qu'en fait l'intelligence artificielle est une technologie d'infrastructure fondamentale.

Clément Delangue :
[15:10] Qui, si elle est contrôlée par quelques acteurs, à mon avis, peut être très, très dangereuse. Et donc, je pense qu'on a vraiment envie, comme le software, qu'elle soit accessible à tous. Et ça, ça passe par l'open source. Sans open source, la technologie sera uniquement accessible, disponible, maîtrisable par quelques acteurs, peut-être par OpenAI, Microsoft et quelques autres. Ça, ce serait vraiment un gros risque. Imagine un monde où il n'y aurait qu'une ou deux entreprises qui pourraient faire du logiciel. Ce serait un monde assez dangereux, pas forcément un monde dans lequel on aimerait vivre, je pense. Donc, d'un point de vue, c'est important aussi.

Monde Numérique :
[15:54] J'entends bien, mais comment expliquer que même ceux qui faisaient de l'open source avant, typiquement OpenAI, d'où son nom, finalement, après, s'orientent vers des solutions propriétaires ? Est-ce que ce n'est pas une espèce de fatalité économique ? Et puis, alors, Meta aussi prône beaucoup Open Source, mais en réalité, tout n'est pas Open Source chez Meta. Il y a maintenant ce qu'on appelle le distinguo entre l'Open Source et l'Open Weight. Donc, finalement, il y a certains bouts en Open Source, mais pas tout. Les entreprises qui innovent sont obligées quand même. Est-ce qu'elles ne sont pas obligées à un moment de garder un peu leurs petits secrets ?

Clément Delangue :
[16:28] C'est un gradient, en fait. Ce n'est pas open source ou pas open source. Je pense que ça navigue un peu d'un extrême à l'autre et que les entreprises aussi naviguent sur ce gradient. D'ailleurs, on voit qu'OpenAI en ce moment est en train de réfléchir à peut-être revenir à un modèle plus open source. Je pense que Sam Altman, il y a quelques semaines, a dit qu'il se sentait du mauvais côté de l'histoire en étant moins open source qu'avant. Donc, on voit aussi que les entreprises naviguent sur ce gradient. Je pense qu'il faut essayer de pousser, de se diriger de plus en plus vers plus d'ouverture, plus de transparence, en se disant que ce ne sera jamais 100% transparent, 100% ouvert. Mais plus on peut pousser dans cette direction, le mieux c'est, je pense.

Monde Numérique :
[17:20] Je vais te poser une question naïve. On sait que l'intelligence artificielle est aussi de plus en plus utilisée par les cybercriminels. Est-ce que finalement, l'open source n'encourage pas ce phénomène ?

Clément Delangue :
[17:31] Non, parce qu'en fait...

Monde Numérique :
[17:32] Il ne leur donne pas plus de facilité ?

Clément Delangue :
[17:33] Oui, alors ce qu'on voit un peu quand on fait de la recherche sur le domaine, c'est que ces risques-là ne sont pas forcément plus présents par l'open source que par des systèmes comme ChatGPT. En fait, c'est plus facile pour un cybercriminel d'utiliser ChatGPT que d'aller utiliser l'open source, qui demande des capacités techniques particulières pour l'utiliser.

Monde Numérique :
[17:54] Malgré les bridages quand même de ChatGPT qui essayent de limiter la case, donc on ne peut pas tout faire et tout demander à ChatGPT.

Clément Delangue :
[18:02] Malgré les bridages, parce qu'en fait, vous avez des systèmes comme ce qu'on appelle du jailbreak d'API qui vous permet de bypasser les limitations qui sont mises par OpenAI.

Monde Numérique :
[18:16] De violer un peu ChatGPT.

Clément Delangue :
[18:18] Voilà, vous avez un volume tellement énorme aujourd'hui sur ChatGPT, Malgré les systèmes mis en place, c'est toujours possible de passer outre. Donc ça, c'est des risques qui ne sont pas forcément spécialement présents pour l'open source, mais qui sont présents sur toute l'intelligence artificielle. Et en fait, l'open source permet aux policiers, aux gendarmes qui sont censés limiter ces cas, de mieux comprendre et eux-mêmes d'être capables de limiter ces risques-là.

Clément Delangue :
[18:49] Ils permettent de créer plus de transparence. Donc, en fait, on voit que c'est possible de faire ça et du coup, on est capable de mettre en place des régulations, des limitations, des lois qui rendent ça illégal. Ce qui est illégal en faisant du software, en faisant du logiciel est illégal en faisant de l'intelligence artificielle. Et ce n'est pas forcément en enlevant la possibilité de le faire qu'on contrôle ça, mais c'est en mettant des lois. Par exemple, aujourd'hui, tout le monde peut utiliser un couteau et on ne se dit pas qu'on va empêcher les gens d'avoir un couteau, mais ce qu'on fait, c'est qu'on met des lois qui permettent de dire que si on utilise un couteau d'une mauvaise manière, là, on va avoir des problèmes. C'est un peu la même chose sur l'intelligence artificielle où il faut mettre en place les lois, adapter les lois quand c'est nécessaire pour que cette technologie, comme le logiciel, ne soit pas utilisé pour de mauvaises raisons et dans des mauvais cas d'usage.

Monde Numérique :
[19:50] Et alors, qu'est-ce que tu penses des efforts de réglementation, et notamment en Europe, qui sont différents des États-Unis, surtout en ce moment, où les États-Unis prônent la déréglementation, alors que nous, l'AI Act vient d'entrer en vigueur, et donc c'est de la réglementation pour l'IA. Et toi, en tant que Français, en plus vivant aux États-Unis et faisant de l'IA, comment tu vois ça ?

Clément Delangue :
[20:10] Oui, alors aux États-Unis, il y a beaucoup de diabolisation de l'AI Act. Moi, je ne suis pas forcément aligné avec de ce que nous, on a beaucoup interagi avec les autorités européennes là-dessus. Et on pense que c'est une régulation qui est plutôt modérée, plutôt utile et qui ne va pas créer des problèmes énormes.

Monde Numérique :
[20:32] Ça ne crée pas trop de freins pour les nouveaux entrants, les jeunes start-up, etc.

Clément Delangue :
[20:36] ? Non, parce que c'est assez focalisé sur les cas d'usages finaux. Donc nous on n'est pas vends debout contre les AI Act en Europe d'accord, après c'est un truc qui est important important à continuer à garder en tête je pense en Europe c'est qu'on a envie que tout le monde puisse bénéficier de l'intelligence artificielle et des outils d'intelligence artificielle donc parfois quand je vois des outils comme ChatGPT qui ont certaines fonctionnalités qui ne peuvent pas être lancées en Europe je trouve que c'est dommage donc il faut faire attention à ne pas créer un cadre qui empêche les Européens de bénéficier de l'intelligence artificielle, mais je pense que ça va plutôt dans le bon sens je pense que ce qui a été annoncé pendant l'AI Summit, l'AI Action Summit il y a quelques, la semaine dernière ou il y a deux semaines, avec pas mal d'investissements sur l'intelligence artificielle vont dans le bon sens Donc, je suis assez positif et assez enthousiaste sur la place que peut avoir l'Europe et la France dans ce nouveau cycle technologique d'intelligence artificielle.

Monde Numérique :
[21:47] Tu penses qu'on a les moyens aujourd'hui de faire face, en tout cas de rattraper le retard qu'on semble avoir pris ?

Clément Delangue :
[21:53] Oui, parce qu'en fait, on a vraiment de très bons chercheurs en intelligence artificielle. On a un très bon support pour l'innovation assez fondamentale avec la BPI, avec la JEI, avec le Crédit Impôt Recherche. Et on a un tissu de start-up qui est dans l'intelligence artificielle qui est vraiment en train de se développer.

Clément Delangue :
[22:15] On a parfois tendance à ne parler que de Mistral en France, notamment les politiques et les médias, ce qui est très bien.

Monde Numérique :
[22:23] Et de Hugging Face aussi.

Clément Delangue :
[22:24] Oui, ce qui est très bien. Je pense que ces deux startups, je suis d'ailleurs investisseur chez Mistral et je trouve qu'ils font un travail super. Mais à la fois Hugging Face et Mistral, on est déjà des entreprises très établies qui n'ont pas forcément besoin de beaucoup de visibilité en plus. Alors qu'il y a des dizaines, des centaines d'autres startups d'intelligence artificielle en France qui sont en train de se développer et qui cartonnent.

Monde Numérique :
[22:50] Tu penses à quoi ?

Clément Delangue :
[22:51] Je pense par exemple à ZML qui fait de l'inférence pour l'intelligence artificielle avec Steve Morin qui était à Zenly avant et qui est en train de monter ZML. Je pense à Linear qui est une startup de cryptographie et d'intelligence artificielle. Je pense à des photo-rooms par exemple qui explosent avec leur application d'édit d'images Mojo qui fait de l'édit grâce à l'intelligence artificielle de vidéo il y en a vraiment des dizaines voire des centaines de start-up d'intelligence artificielle en France ou basée en France qui font du super boulot et je trouve qu'on devrait en parler plus.

Monde Numérique :
[23:40] Encore une question, Clément. Ça, c'est un discours super optimiste, positif, et ça fait du bien en plus. Mais l'IA, c'est aussi un truc, inévitablement, on brandit les drapeaux rouges, c'est dangereux, etc. Désinformation, cybercriminalité. Est-ce qu'on devrait réglementer l'IA comme l'énergie atomique, comme certains le disent ?

Clément Delangue :
[24:01] Il faut qu'on bosse sur les risques présents et actuels. Il faut qu'on fasse de la recherche, à mon avis, sur les scénarios long terme, apocalyptique Robocop c'est bien d'y réfléchir de faire la recherche il y a très peu de recherches en fait sur le sujet mais il ne faut pas que ça nous obsède je pense que ce qui est important c'est de travailler sur les risques actuels par exemple les besoins énergétiques de l'intelligence artificielle c'est un sujet qui se pose aujourd'hui donc on a lancé avec Salesforce il y a quelques jours un AI Energy Score qui permet d'avoir de la transparence sur l'AI et de savoir voir ce que consomme en énergie l'intelligence artificielle. Il faut qu'on bosse sur les biais de l'intelligence artificielle. Quand vous parlez à Tchad GPT, il faut savoir que c'est biaisé et que, par exemple, si vous lui demandez un travail typique pour un homme, ce sera différent de ce qu'il vous dira d'un travail typique d'une femme. Donc, comment créer plus de transparence sur ces biais qu'a l'intelligence artificielle pour être sûr qu'elle ne manipule pas, que les entreprises qui construisent cette intelligence artificielle ne manipulent pas la population. Donc, c'est vraiment ces risques d'aujourd'hui sur lesquels je pense qu'il faut qu'on travaille et que la régulation s'adapte pour avoir un cadre sain pour ces risques aujourd'hui de l'intelligence artificielle.

Monde Numérique :
[25:27] À propos de l'enjeu énergétique, ce qu'a montré aussi DeepSync, c'est qu'on pouvait aller vers des IA de plus en plus frugales. Est-ce que tu penses que l'IA du futur, ce sera une IA qui consommera moins d'énergie, qui aura moins besoin de data center, qui fonctionnera plus à l'intérieur de nos smartphones ou de nos ordinateurs, des plus petits modèles, etc.

Clément Delangue :
[25:45] Oui, j'en suis sûr. C'est une intelligence artificielle qui est adaptée à vos besoins. Quand vous faites une intelligence artificielle qui va vous aider à faire du customer support pour vos comptes en banque, pour répondre à une question sur vos comptes en banque, vous n'avez pas besoin d'une intelligence artificielle qui va vous donner le sens de la vie et qui va vous être capable de faire des équations comme Einstein. Vous avez besoin d'un petit système d'intelligence artificielle qui est efficace, qui ne coûte pas cher, qui ne dépense pas beaucoup d'énergie. Et donc, c'est pour ça que nous, on essaie de pousser ce modèle où tout le monde peut créer son intelligence artificielle parce que ça va permettre de les rendre plus spécialisées, plus petites, plus efficaces, au lieu de tous utiliser des énormes systèmes qui consomment énormément d'énergie qui sont très très chers, donc à terme on a vraiment besoin de systèmes d'intelligence artificielle qui sont adaptés à nos besoins et pour ça il faut que tout le monde soit capable de créer sa propre intelligence artificielle.

Monde Numérique :
[26:51] Et finalement c'est le contraire de la vision de l'IAG de l'IA général qui sera

Monde Numérique :
[26:57] plus puissante que l'homme et qui saura tout faire.

Clément Delangue :
[26:59] Ouais et en fait dans la réalité vous voyez déjà que c'est pas mal le cas parce que même un OpenAI ils ont un tas de modèles différents vous allez dans le chat GPT de plus en plus c'est pas un seul modèle vous avez 6 modèles différents et ça c'est uniquement ce qu'ils vous montrent derrière peut-être qu'il y en a encore 10 fois plus, donc ouais le modèle ultime pour l'intelligence artificielle c'est plus un modèle décentralisé où tout le monde crée son intelligence artificielle la même manière que tout le monde crée son logiciel, pour vraiment permettre d'avoir des systèmes adaptés aux besoins de chaque entreprise et chaque individu.

Monde Numérique :
[27:37] Merci Clément Delangue CEO cofondateur de Hugging Face merci beaucoup d'avoir été dans le monde numérique.

Clément Delangue :
[27:44] Merci beaucoup.

technologies,innovation,numérique,informatique,actualités,actu tech,tech news,high-tech,tech,hugging face,ia,intelligence artificielle,open source,llm,