Nommé en mai dernier au poste de ministre délégué à la Transition Numérique, Jean-Noël Barrot est aujourd'hui confronté à plusieurs défis. A l'occasion d’un événement organisé par l’association IDFrights et le groupe La Poste, il livre sa vision du numérique pour la France. Interview exclusive.
Concernant la souveraineté numérique de la France et l'importance de préserver une certaine autonomie en matière numérique, Jean-Noël Barrot estime que les éléments clés sont l'innovation, la régulation, la concurrence saine et équitable et le respect de la vie privée.
Le ministre évoque le problème posé par l'application chinoise TikTok, soupçonnée de capter des données d'utilisateurs européens au profit de la Chine. Il estime que cela est contraire aux valeurs européennes et donc inacceptable.
A propos des mineurs face au porno, Jean-Noël Barrot annonce que la France va généraliser le contrôle parental pour protéger les enfants et fixer une majorité numérique à 15 ans afin de vérifier l'âge des utilisateurs des réseaux sociaux, tout en soulignant que la mise en œuvre n'est pas simple.
Enfin, Jean-Noël Barrot estime que ChatGPT n'est pas une solution magique qui peut remplacer tous les métiers, comme ceux de responsables politiques ou de journalistes. Il estime que plutôt que d'interdire l'utilisation de ChatGPT à l’école, il serait préférable de familiariser les élèves avec cet outil en adaptant les modalités d'examen et en permettant aux élèves d’en tirer le meilleur parti.
La question de la souveraineté numérique française est-elle dans une impasse ?
Le numérique, c'est la cinquième clé de la souveraineté française européenne. C'est Emmanuel Macron qui le disait dans son discours de la Sorbonne. Et après ce qu'on a vécu, la crise de la Covid, puis la guerre en Ukraine, je crois qu'il y a eu une prise de conscience générale qu'on devait être autonome, qu'on devrait être souverain pour éviter d'être dépendant de puissance étrangère. Et les éléments de cette souveraineté, cette autonomie en matière numérique, c'est d'abord l'innovation, parce qu'il faut maîtriser les briques d'innovation qui forme l'infrastructure sur laquelle repose l'économie et la société numérique. Je pense au cloud, je pense à l'intelligence artificielle, je pense au quantique, je pense à la cyber. Et puis il faut aussi réguler pour faire en sorte que dans l'économie numérique, un certain nombre de grands principes auxquels nous sommes attachés soit respecté, le principe de concurrence, scène équitable, qui n'est pas toujours respecté aujourd'hui sur certains marchés numériques, Et puis le principe de respect de la vie privée, qui est un principe pour lequel nous, européens, sommes fondamentalement attachés.
Faut-il se méfier de l'application TikTok ?
Il est avéré que TikTok a traité des données d'utilisateurs européens à l'extérieur de l'Union européenne et en particulier en Chine. Ce ne sont pas les services secrets qui nous l'ont dit, c'est TikTok qui l'a avoué il y a quelques mois. C'est tout simplement inacceptable que ce soit TikTok ou tout autre réseau social, tout autre messagerie, ce principe est contraire à nos valeurs européennes. TikTok s'est engagé à rectifier les choses, à traiter en Europe les données des utilisateurs européens à partir de la fin 2023. Ensuite, sur l'autre sujet que vous évoquez, qui est celui des problèmes d'addiction, nous avons pris un certain nombre de mesures pour protéger nos enfants. Dans quelques mois, la France sera le premier pays du monde à généraliser le contrôle parental qui filtrera préventivement les sites réservés aux adultes, qui permettra aux parents de contrôler le temps passé sur l'écran et puis de limiter l'accès à certains sites. Et puis il y a quelques jours, l'Assemblée nationale a adopté une proposition de loi qui fixe une majorité numérique à 15 ans et plus précisément qui va imposer aux réseaux sociaux, comme TikTok, de vérifier sérieusement l'âge de leurs utilisateurs et s'ils ont moins de 15 ans, de recueillir le consentement de leurs parents.
Comment allez-vous faire concrètement ?
On va y réfléchir, c'est tout le travail qui a été fait pour la mise en œuvre de la loi sur la restriction d'accès des mineurs au site pornographique. Ce n'est évidemment pas simple, sinon la solution ça fait bien longtemps qu’on l’aurait mise en place. On va trouver des solutions. On a un cadre juridique pour le porno désormais. Il y a un cadre qui est en train de se mettre en place pour l'accès aux réseaux sociaux. Il reste désormais à consolider les solutions techniques. Elles existent, elles vont continuer se développer, à s'améliorer et c'est ainsi qu'on pourra enfin faire appliquer la loi dans l'espace numérique.
Pourquoi n'existe-t-il pas TikTok français ou un Google européen ?
Mais il y a des applications françaises, des applications de réseaux sociaux qui fonctionnent bien, je pense à Birielle par exemple qui est en train de connaître un franc succès auprès des jeunes et s'agissant de l'intelligence artificielle nous avons un certain un nombre de startups d'abord et même pour certaines on pourrait dire de scale-up c'est à dire d'entreprises de taille assez significatives. On a beaucoup entendu parler ces derniers jours de Huggingface par exemple mais on a aussi entendu parler de startups comme Light On ou Dust qui depuis la France développe des modèles comme celui qui a permis la conception de chat GPT et dont on entendra beaucoup parler à l'avenir.
Pourquoi avez-vous comparé ChatGPT à un « perroquet approximatif » ?
Certains des meilleurs spécialistes en intelligence artificielle ont qualifié ChatGPT de perroquets stochastiques. Je n'ai fait d'une certaine manière que me faire le perroquet de cette formule-là. Ce qui est important quand on réfléchit à l'avenir de l'intelligence artificielle et à la place que nous voulons que la France occupe dans ce domaine, c'est de bien dire ce qu'est ChatGPT et ce qu'il n'est pas. Ce qu'il est, c'est une application assez spectaculaire et fascinante des grands modèles transformeurs, sur lesquels je vais revenir dans un instant. Ce qu'il n'est pas, c'est une sorte de pensée magique qui a réponse à tout de manière très fiable et qui va remplacer tous nos métiers de responsabilité politique ou de journaliste. Mais ce sur quoi il met la lumière, c'est sur l'importance qu'occupe aujourd'hui l'intelligence artificielle dans nos vies puisque ces mêmes modèles qui ont conduit à la conception de chat de GPT aujourd'hui sauvent des vies. Ils permettent d'accélérer le progrès scientifique, ils permettent de détecter des cancers notamment qui jusqu'à présent étaient détectés beaucoup trop tard pour être soignés. Et ils ont permis à des chercheurs de découvrir le vaccin contre la Covid-19 beaucoup plus tôt qu'il ne l'aurait pu sans ces fameux modèles. Donc l'intelligence artificielle est porteuse de très nombreuses promesses. ChatGPT en est l'une des applications qui va sans doute jouer un rôle dans notre quotidien. Je parle de ChatGPT, mais je pense qu'on aura très rapidement des alternatives françaises et européennes à des modèles comme ChatGPT. Mais les autres applications de l'intelligence artificielle sont là pour durer.
Que faudrait-il pour que les Français s'approprient l'IA sans en avoir peur ?
Je crois précisément qu'il faut rappeler ce que c'est qu'un agent conversationnel, ce qu'il peut faire et ce qu'il ne peut pas faire et plus précisément rappeler que grâce à ces modèles, il est possible de condenser, de synthétiser, de moyenniser des sommes très considérables d'information, beaucoup plus facilement et beaucoup rapidement que ce qui était possible auparavant. Mais il faut savoir faire une distinction entre cela et l'intelligence humaine. Et rappelez toujours que l'intelligence artificielle est un outil au service de l'intelligence humaine, que l'intelligence artificielle ne va pas remplacer l'intelligence humaine, et en tout cas que ces modèles-là permettent un certain nombre de progrès, je parlais des progrès médicaux tout à l'heure, mais qu'en aucun cas ils ne peuvent remplacer les humains, leurs sensibilités, leurs capacités de raisonnement, leurs capacités de jugement qui restent dans nos sociétés évidemment fondamentales.
Faut interdire ChatGPT à l'école ou à l'université ?
Je crois au contraire que ces outils apportés par l'intelligence artificielle doivent pouvoir être appropriés par nos concitoyens qui se rendront vite compte de ce que ces outils rendent possible et de ce que ces outils ne rendent pas possible. Et donc plutôt que de les interdire, ma vision serait plutôt de familiariser les élèves ou les étudiants à ces outils-là en adaptant évidemment les modalités d'examen et en permettant aux élèves de tirer le meilleur profit de ces outils et d'identifier très tôt leur faiblesse.
L'école et l'université ne manquent-elles pas de sensibilisation à ces sujets ?
L'école, le ministre de l'Éducation nationale l'a rappelé il y a quelques semaines, va intégrer de plus en plus le numérique dans les apprentissages avec l'apprentissage du code à partir de la cinquième, avec le renforcement des apprentissages numériques au lycée, avec la création d'un nouveau bac professionnel consacré notamment à la cyber sécurité. Donc l'école est en train d'avancer dans la direction d'une plus grande appropriation du numérique et c'est bienvenue parce qu'il nous faut préparer les jeunes non seulement et bien ce numérique qui va constituer l'essentiel de leur vie mais leur donner aussi envie d'aller occuper ces métiers d'avenir qui sont offerts par les secteurs du numérique je pense aux jeunes garçons mais je pense aussi aux jeunes filles qui aujourd'hui se détournent beaucoup trop largement de ces de ces métiers-là alors même qu'ils peuvent être très gratifiants particulièrement rémunérateur et offrir des perspectives de carrière très intéressantes.
Précisément mais en matière d'intelligence artificielle notamment il est assez intéressant de voir que à la tête des grands laboratoires de recherche des grandes entreprises américaines on retrouve systématiquement des Français. Donc nous avons tous les atouts pour nous trouver en pole position de ces révolutions à venir, et en particulier celle de l'intelligence artificielle. Et nous mettrons avec Bruno Le Maire, avec le gouvernement, les moyens pour y parvenir.
Le rachat de Twitter par Elon Musk a suscité beaucoup d'inquiétudes. Où en sommes-nous ?
Le bilan sera fait de manière très simple. Soit Twitter se conforme aux règles que nous avons établies l'année dernière au niveau européen, en vertu du règlement sur les services numériques. Et alors, nous pourrons collectivement être assurés sur la capacité de Twitter à respecter les valeurs auxquelles nous tenons et le niveau de responsabilité auxquelles nous souhaitons nous, européens. Pour l'instant, le processus est en cours. Si Twitter devait échouer dans sa quête ou en tout cas ne devait pas réussir en tout cas à franchir les étapes pour se mettre en conformité avec ce règlement sur les services numérique. Alors c'est très simple, il sera à sujet de tirer des sanctions très significatives, 6% du chiffre d'affaires, 300 millions d'euros à peu près pour Twitter. Et en cadre récidive, s'il ne se conforme toujours pas, alors il sera interdit sur le territoire de l'UE.
Quelle vision avez-vous pour la France en matière de numérique pour les années à venir ?
Ce que je souhaite pour la France mais surtout pour les Français, c'est que la transition numérique puisse leur bénéficier et rendre leur vie meilleure et rendre la France plus prospère et plus juste. Cela veut dire soutenir l'innovation, cela veut dire imposer dans l'espace numérique, dans le monde numérique les règles, les principes et les valeurs auxquelles nous tenons et cela suppose enfin de faire en sorte que l'ensemble de nos concitoyens, uniquement celles et ceux qui ont des facilités avec le numérique, mais l'ensemble de nos concitoyens puisse tirer le meilleur profit de cette transition.