Pionnier de la télématique et du numérique, Rafi Haladjian couche sa vision du monde technologique dans un livre intitulé "Tentative d'épuisement de l'avenir du futur" (Nautilus).
Après avoir fait fortune dans le Minitel, puis dans l'accès à Internet avec FranceNet dans les années 90, l'entrepreneur Rafi Haladjian s'est fait connaître en créant le lapin connecté Nabaztag, ancêtre des objets intelligents d'aujourd'hui. Il raconte son parcours et expose sa vision de l'innovation technologique, qui s'organise selon lui en couches successives. Pour Rafi Haladjian, l'intelligence artificielle générative est en passe de nous faire entrer de plain pied dans l'ère du "post Web", c'est-à-dire une nouvelle forme d'accès à l'information basée sur la pertinence et non plus sur l'opulence.
Admirateur de Steve Jobs et de Jérôme de Stridon, ce saint "qui avait lu tous les livres et pouvait vivre en mode avion", le visionnaire Rafi Haladjian entrevoit un futur toujours plus connecté mais où la technologie disparait au profit de l'accès immédiat à la connaissance.
Avec le ton ironique qui le caractérise, il nous présente aussi Juice, cette application mobile qui permet une écoute délinéarisée personnalisée de la radio et des podcasts.
Monde Numérique :
[0:24] Bonjour Rafi Haladjian.
Rafi Haladjian :
[0:25] Bonjour Jérôme.
Monde Numérique :
[0:26] Ravi de vous recevoir dans le monde numérique.
Rafi Haladjian :
[0:28] Moi aussi.
Monde Numérique :
[0:28] Vous êtes le créateur du fameux Lapin Nabaztag, c'est souvent comme ça qu'on vous présente mais il n'y a pas que ça, également créateur plus récemment de l'application Juice, qui permet d'écouter la radio en petits morceaux de manière algorithmisée, on en reparlera, et puis avant cela, créateur de services Minitel en France, vous aviez créé l'un des premiers, vous étiez l'un des premiers fournisseurs, d'accès à internet français, France Net. C'est d'ailleurs à cette époque là qu'on s'est connu.
Autant vous dire que ça ne date pas d'hier. Alors vous signez un livre aujourd'hui, Rafi Haladjian, qui a un titre assez incroyable, Tentative d'épuisement de l'avenir du futur, aux éditions Nautilus.
Qu'est-ce, que c'est que ce livre ? C'est à la fois une autobiographie, vos mémoires, un récit de l'évolution technologique de ces dernières années, et puis un peu de futurologie et d'anticipation ?
Rafi Haladjian :
[1:24] C'est un peu tout à la fois. C'est-à-dire qu'en fait j'ai commencé à l'écrire en 2017. En 2017, je venais, de vendre, la dernière de mes entreprises de l'époque. Donc c'est le moment où on sort, de l'entreprise et on se dit bon ben je fais quoi maintenant ?
Et j'ai fait ce que j'ai fait toutes les...
Comme toutes les fois précédentes où je m'étais trouvé dans cette situation-là, qui est bon c'est quoi la prochaine étape de l'histoire ?
Et j'avais un truc à moi, ma martingale à moi pour prédire le futur qui m'avait plutôt bien réussi depuis le tout début du Minitel comme vous l'avez dit, c'est de regarder l'histoire.
J'ai une vieille habitude parce que je suis vieux et parce que j'ai plutôt une culture littéraire et pas du tout une culture d'ingénieur ou de... je ne sais pas.
Et je retrace l'histoire et je me dis vers quelle direction ça pointe et ça me permet de déterminer les choses suivantes.
Sauf que là, j'étais dans une maison et puis je me suis dit...
D'abord je me suis dit je vais faire un powerpoint, je sais que vous aimez beaucoup powerpoint, j'ai commencé à le faire je me suis dit mais quand même c'est super étriqué le powerpoint ça va pas marcher etc et donc j'ai commencé à écrire, Et j'ai fini cinq ans plus tard. Et entre-temps, le truc est devenu un objet un peu monstrueux qui fait une somme, il y a 450 pages.
[2:47] Mais qui est à plusieurs choses à la fois. La première chose, c'est quand même de retracer l'histoire des technologies du savoir depuis, pas le début, mais depuis quelqu'un qui m'a toujours fasciné qui est Jérôme de Stridon, peut-être qu'on en reparlera.
[3:05] Et de voir comment les choses ont évolué et qu'est-ce que ça nous dit de ce qui pourrait venir après.
Prédiction du futur basée sur l'observation de l'histoire technologique
[3:11] Parce qu'il y a quelque chose que j'ai appris en classe de CM1, à l'école, c'est que quand on regarde un point dans l'espace, on peut tracer une infinité de droites et quand on prend deux points dans l'espace, on peut tracer qu'une seule droite.
Et une des erreurs qu'on met souvent quand on essaye de prédire le c'est qu'on regarde intensément ce qui se passe aujourd'hui et on se dit, le futur commence aujourd'hui, donc c'est forcément une espèce de projection, une évolution de ce qu'on est en train de regarder aujourd'hui.
Donc on fait un peu une fixette, une espèce d'obsession, on a l'impression qu'on est arrivé à la fin de l'histoire et que les trucs qu'on a aujourd'hui, les habitudes qu'on a aujourd'hui, les acteurs qu'on a aujourd'hui sont vraiment, les maîtres du monde définitif de l'histoire, etc.
Et donc généralement, on se gourd. Eh oui, parce qu'en fait, c'est après qu'il y a des Il y a des surprises parce que les… et je donne quelques exemples dans le livre de grands moments où on s'est trompé.
Au début de l'Internet, on pensait que l'Internet, ça n'allait pas marcher parce que Microsoft était le maître du monde, parce que l'ordinateur, était le truc que tout le monde avait et Microsoft avait dit je vais mettre un truc sur tous les ordinateurs et ça va s'appeler le Microsoft Network et, ça va être un truc propriétaire de Microsoft. Et tout le monde y croyait parce que c'était Microsoft.
Monde Numérique :
[4:26] Et vous rappelez aussi que Al Gore vantait quelque chose qui passerait par la télévision, une sorte de télévision enrichie.
Rafi Haladjian :
[4:34] Parce qu'à l'époque, l'objet qui était le truc sur lequel on faisait une fixation, c'était la télé.
On pensait que les gens étaient incapables d'avoir autre chose de mieux que la télé. Donc l'avenir, c'était une hyper-télé.
Donc on prend le truc du moment et on en fait une hyper-quelque chose.
Aujourd'hui, on se dit c'est quoi le smartphone du futur ?
Donc c'est un hyper-smartphone parce qu'on est un peu coincé dans le modèle du moment.
Donc je me suis dit, ben voilà, je vais faire ça, je vais raconter l'histoire depuis le début des temps.
Et peut-être que ça va me mener quelque part. Alors peut-être que je vais perdre mon temps.
Tout ce que je risque c'est soit de raconter des conneries, mais bon, je m'en fous, ou alors d'arriver à la même conclusion que tout le monde, mais en ayant pris un chemin le plus long. Mais en même temps, je m'en fous.
Monde Numérique :
[5:17] Vous saviez pas où vous alliez arriver ?
Rafi Haladjian :
[5:19] Non, le but c'était... Enfin, j'avais une intuition, mais c'était une espèce de... d'essayer de le valider, etc.
Mais en même temps, arriver au même point que les autres, en ayant fait un long trajet, ça permettait de comprendre pourquoi on était là plutôt que de prendre pour argent comptant, qu'on nous dise maintenant le futur ça va être le métaverse.
Juste parce que quelqu'un a fait une conférence de presse, c'est le métaverse, et on assène comme ça le futur qu'on a annoncé etc.
Et donc c'était ça l'idée, c'est pour ça que ça s'appelle la tentative d'épuisement de l'avenir du futur, c'est de prendre toute l'histoire, d'essayer de l'essorer, c'est-à-dire d'essayer de faire dire à toute l'histoire des technologies, du savoir tout ce qui s'est passé, et peut-être que quelque chose va nous dire vers quoi ça pointe.
Monde Numérique :
[6:07] Alors on va revenir au début, Rafi Haladjian vous racontait dans le livre que
Passage de marchand de tapis à marchand d'Internet grâce au Minitel
[6:12] vous êtes enfant d'une famille libanaise, né dans la banlieue de Beyrouth, vous auriez pu devenir marchand de tapis et finalement vous êtes devenu marchand d'Internet et de plein d'autres chose et tout a basculé en France grâce au Minitel. C'est quand même ça qui vous a mis sur orbite.
Rafi Haladjian :
[6:32] Oui le Minitel ça a été quelque chose de miraculeux. Enfin pour moi mais on est quelques ans comme ça à avoir été transformé par le Minitel pour plein de raisons.
Parce que dans les années 80 en France monter une boîte de technologie c'était quelque chose qui était inconcevable.
La technologie était quelque chose qui coûtait très cher et c'est pas comme si à des investisseurs ou des financiers qui auraient investi dans la tech.
Donc il y a eu ce truc qui était un peu une aberration, qui était le Minitel, dans lequel des gens comme moi, comme Xavier Nel, comme je sais pas, Marc Simoncini, comme Patrick Robin, etc.
On est tombés quand on était petits, et le truc miraculeux avec le Minitel, c'est que ça apprenait d'une part la tech, de comment on faisait des services, en ligne, etc. Mais aussi ça rendait riche.
Monde Numérique :
[7:17] Mais oui, c'est ce que vous dites, je suis devenu ridiculement riche grâce au Minitel.
Rafi Haladjian :
[7:21] Alors on est devenu riche de manière aberrante, parce que les prix du Minitel étaient exorbitants, le Minitel coûtait un fric fou.
Bon, on peut cracher dans la soupe après coup, mais malgré tout, c'est ce qui nous a sauvés.
C'est-à-dire qu'à l'époque, on n'était pas des startups, on était des PME.
Et le propre d'une PME, c'est quand même de gagner de l'argent.
Ce n'est pas un truc que les investisseurs vont mettre et vous allez gagner beaucoup d'argent dans le futur. Vous devez en gagner au jour le jour.
Monde Numérique :
[7:43] Ce n'était pas les startups. Et qu'est-ce que vous proposiez sur Minitel ?
Rafi Haladjian :
[7:46] Sur Minitel, on faisait du Minitel Rose, évidemment. Enfin, on était tous à faire du Minitel Rose. Ceux qui disent qu'ils n'en faisaient pas, ils mentent.
Mais on en faisait tous et parce que c'était le truc parce que le Minitel Rose c'est comme ne pas faire des réseaux sociaux aujourd'hui, c'est comme ne pas faire des trucs qui marchent aujourd'hui, on faisait tous du Minitel Rose, faut pas déconner.
Monde Numérique :
[8:05] On voit où ça vous a mené.
Rafi Haladjian :
[8:07] Et on a appris beaucoup de choses en faisant ce Minitel Rose et j'en parle beaucoup dans le livre, des tas de choses que les gens ont découvert dans les années 2010, nous autres vieux du Minitel Rose on les savait déjà en 1989 Vous regrettez le Minitel ?
Le Minitel Rose et son impact sur le marché
[8:23] Non, je ne regrette pas le Minitel. C'était quelque chose qui était très pertinent.
On s'est beaucoup amusé.
Ce qui était bien avec le Minitel, c'est que les gens ne se la pétaient pas dans le Minitel.
C'était à l'époque, faire du Minitel, c'était quelque chose, on le faisait parce que c'était drôle, parce qu'on gagnait aussi beaucoup d'argent, mais c'était quelque chose qui était drôle.
Les gens ne se prenaient pas au sérieux dans le Minitel.
C'était un milieu qui était extrêmement apprécié.
Monde Numérique :
[8:49] Mais ça ressemblait à quoi un service, puisqu'on en parle, de Minitel Rose à l'époque, c'était quoi ?
Alors donc c'était des messageries où c'était des jeunes... Enfin, on faisait croire que c'était des jeunes filles qui discutaient, et puis en fait c'était des étudiants qui étaient derrière, c'est ça ?
Rafi Haladjian :
[9:02] Non, non, à la base, ce que... En fait au départ c'était des messageries, c'était des messageries. Sauf que...
Monde Numérique :
[9:08] Non, c'était des réseaux sociaux finalement.
Rafi Haladjian :
[9:10] Voilà, c'était des messageries, c'était juste WhatsApp, c'était juste WhatsApp à 15 euros de l'heure.
Mais après, il y a eu une espèce de... Parce qu'on faisait tellement de jaloux par rapport à toutes ces grosses entreprises d'informatique, soudain, il y avait une espèce de petite boîte qui faisait de la tech.
Et on était vu comme des voyous.
On sortait de nulle part par rapport à des Capgemini, des Atos, etc., qui avaient investi des millions.
Nous, on arrivait avec des petites bécanes et des trucs, et on faisait des choses qui marchaient.
Monde Numérique :
[9:47] Donc vous montiez un serveur, ils se fusent à l'ordinateur dans un coin...
Rafi Haladjian :
[9:49] Ils ont monté des serveurs, etc. Et ça marchait. Et du coup, on nous a dénigrés, on a qualifiés.
Il y a eu cette espèce d'infamie qu'on nous a collée, qui était le Minitel rose, c'était un peu...
Et qui a empêché à plein de gens de voir ce qui se passait dans ce truc.
C'est qu'il y avait d'intéressant dans le truc, c'est qu'on s'est cachés derrière, ce côté rose du Minitel pour ne pas voir des phénomènes dont on s'est rendu compte après coup dans les réseaux sociaux, alors qu'on s'en rendait compte déjà dans les années 80 de ces phénomènes.
Monde Numérique :
[10:17] Et puis après le Minitel, Internet et vous avez logiquement plongé dans Internet puisque je le disais, création de l'un des tout premiers fournisseurs d'accès à Internet, FranceNet.
Rafi Haladjian :
[10:26] Même historiquement le premier.
Monde Numérique :
[10:27] Le premier.
Rafi Haladjian :
[10:28] On a 15 jours de différence avec WordNet, Sébastien Sauchard.
Monde Numérique :
[10:32] Le premier fournisseur d'accès à Internet.
Rafi Haladjian :
[10:35] Et encore à cause d'un hasard, parce que j'avais décidé de commencer FranceNet.
Comme il fallait pour lancer un truc à l'époque, qu'il fallait acheter de la pub dans des journaux et que les journaux bouclaient en trois mois.
Il a fallu décider trois mois à l'avance la date à laquelle France Net allait commencer.
Et pour choisir une date, j'ai pris le 8 juin parce que d'une part c'est la date de l'anniversaire de Tim Berners-Lee, l'inventeur du web, celui de mon fils et le mien.
Monde Numérique :
[10:58] Joli triplé.
Rafi Haladjian :
[10:59] Et donc ce qui a fait que j'ai 15 jours d'avance sur Sébastien Seychardt, c'est justement parce que, simplement parce que je suis né le 8 juin.
Et donc pendant, je sais pas, 15 jours, j'avais 100% de parts de marché de l'internet, français. J'étais l'internet français.
Monde Numérique :
[11:13] Ouais, donc vous fournissiez à n'importe qui qui avait un ordinateur, il faut dire qu'il n'y avait pas grand monde non plus, qui avait un ordinateur personnel à la maison à l'époque, la possibilité avec un kit de connexion, le fameux modem, dibidibidibidibidib.
Et combien ça coûtait à l'époque pour aller sur internet, vous vous souvenez ?
Rafi Haladjian :
[11:31] Au début, sur France Net, ça coûtait 85 francs de l'heure, c'est-à-dire pas, plus de 15 euros de l'heure. Parce que l'idée c'était...
Monde Numérique :
[11:38] C'était presque le prix du Minitel.
L'Internet vs. le Minitel: Le début de la révolution numérique
Rafi Haladjian :
[11:39] On était... Voilà, l'idée de départ c'était... On est au pays du Minitel, les gens payent 15 francs de l'heure, enfin 15 euros de l'heure pour se connecter sur le Minitel.
L'Internet c'est mille fois mieux que le Minitel parce que c'est en couleur, c'est mondial, c'est plein de trucs, etc.
Encore que c'était pas plein de trucs, en fait c'était pourri l'Internet à l'époque, on peut le dire maintenant.
Monde Numérique :
[11:59] Oui, les pages étaient moches.
Rafi Haladjian :
[12:01] Les pages étaient moches, il n'y avait rien d'intéressant, c'était que des trucs universitaires, c'était tout en anglais.
Monde Numérique :
[12:05] Ouais, mais c'était fascinant. C'était incroyable.
Rafi Haladjian :
[12:07] Et c'était lent. Et voilà. Mais c'était le prix du Minitel et il y avait des millions de gens qui payaient pour aller sur Minitel.
Il n'y avait pas de raison qu'ils paient autant, pas autant pour aller sur Internet.
Après, très vite, c'est devenu 15 euros de l'heure, du mois.
Monde Numérique :
[12:23] Du mois. Bien oui, bien sûr.
Donc là, on ouvre les vannes et puis on rentre dans un autre monde, etc.
On va peut-être pas passer toutes les étapes, même si on se lasse pas de se raconter ça, mais je vais arriver vite fait à Nabaztag en 2005, Nabaztag, le petit lapin communiquant, et on va dire que c'est l'ancêtre des assistants, vocaux et communiquants qu'on a aujourd'hui à la maison.
Rafi Haladjian :
[12:50] Oui, c'était ça l'idée. En 2003, avec, Olivier, on a pensé à ce qui n'était pas encore Nabastak, c'était de se dire, bon, le moment est venu d'interagir, avec, autre chose qu'un ordinateur, c'est-à-dire une machine avec un écran.
Il n'y avait pas encore de smartphone, par ailleurs.
Et pour interagir avec l'information, peut-être on aurait quelque chose qui pourrait communiquer, de manière ambiante dans la pièce tournée.
Monde Numérique :
[13:20] Donc il parlait, il allumait des petites lumières de couleur.
Rafi Haladjian :
[13:24] Il bougeait les oreilles, ce qui pouvait avoir un sens.
Et puis, il avait un détecteur de puces RFID, c'est-à-dire qu'on pouvait lui, faire renifler, par exemple, des livres pour enfants.
Il les lisait, pouvait brandir ses clés devant son nez. Il savait que vous étiez rentré à la maison.
Il avait des trucs pour lire ça. Et on pouvait lui parler aussi, parce qu'il avait un micro dans son nombril.
Et donc, on pouvait lui dire, donne-moi la météo, quelle est la bourse ?
Monde Numérique :
[13:48] Oui, il y avait de la reconnaissance vocale, il connaissait un certain nombre de mots, de mots-clés.
Rafi Haladjian :
[13:52] Voilà, donc c'était un peu triché parce que la technologie de reconnaissance vocale à l'époque était très sommaire, donc on reconnaissait des mots et pas des phrases.
Donc on pouvait lui dire « donne-moi la météo s'il te plaît », mais en fait dans toute la phrase il reconnaissait que « météo » et tout le reste on lui disait « donne-moi du chocolat et de la météo s'il te plaît », il donnait « de la météo » parce que tout le reste il ne le comprenait pas.
Monde Numérique :
[14:11] Oui, bien sûr. Bon, alors il y a eu plusieurs versions, etc.
Etc. Pourquoi Nabaztag n'est pas devenu Alexa?
Le déclin de Nabaztag et l'émergence d'autres technologies
[14:21] Ou pourquoi est-ce qu'on n'est pas devenu un acteur, important, de ces outils-là aujourd'hui, ?
Rafi Haladjian :
[14:28] Parce qu'après, Navastag a été repris par SoftBank, et SoftBank a trouvé que c'était pas assez excitant de faire des lapins.
Ils ont préféré faire des grands robots comme Nao et l'autre qui est plus moche.
Monde Numérique :
[14:39] Pepper.
Rafi Haladjian :
[14:40] Et Pepper. Et donc ils ont arrêté Nabaztag.
Monde Numérique :
[14:43] Mais moi je vous laisse le jugement, Rafi Haladjian.
Rafi Haladjian :
[14:45] Non, non, j'assume.
Nao c'était bien.
Monde Numérique :
[14:49] SoftBank, groupe japonais. qui avait racheté la société Violet, c'est ça ? Qui fabriquait Nabaztag.
Ok, bon alors quel regard vous jetez sur tout ça, puisqu'on l'a dit, votre livre c'est un récit, c'est un témoignage, mais c'est aussi des réflexions, et notamment des réflexions sur l'innovation.
Et on sent que vous avez deux personnages, deux mentors, si on peut dire.
Vous l'avez dit, Jérôme de Stridon, c'est ça ?
Saint Jérôme, et un autre saint, ou en tout cas un Steve, Steve Jobs.
Rafi Haladjian :
[15:23] Voilà, et l'autre c'est un dieu.
Non, il y a trois héros en fait dans cette histoire.
Monde Numérique :
[15:28] Il y a vous aussi.
Rafi Haladjian :
[15:29] Il y a Saint Jérôme de Stridon, il y a moi et puis Steve Jobs.
Saint Jérôme de Stridon, parce que c'est quelqu'un qui m'a beaucoup fasciné.
C'était qui Saint Jérôme de Stridon ? Saint Jérôme de Stridon, d'abord c'est un des pères de l'église chrétienne, ça n'est qu'à 4 paires de l'église chrétienne, c'est lui qui a traduit la Bible en latin au début, mais tout ça on s'en fout.
Il n'y a pas de rapport direct avec mon intérêt pour Saint Jérôme, mais on raconte qu'au Saint Jérôme, il connaissait par cœur tous les livres de son époque.
Alors, je ne sais pas si c'est vrai, mais… Il avait l'omniscience.
Mais c'est comme s'il avait avalé Google.
C'est-à-dire, imaginez que vous avez tout l'Internet dans votre tête.
Accès à toute l'information sans appareil extérieur
[16:13] Et donc, qu'est-ce que ça voudrait dire ? En fait, ça fait de vous une espèce d'idéal à atteindre, c'est-à-dire que vous accédez à toute l'information sans avoir besoin d'un appareil extérieur, sans qu'il y ait de connexion, de trajet, de réseau, d'interface, de technologie, de navigation.
Vous avez tout dans votre tête quand vous avez besoin de quelque chose.
Donc là, vous avez une incarnation de l'homme, idéal. Donc, mon histoire, elle part de Saint Jérôme de Strydon.
Au début, il y avait Saint Jérôme de Strydon, le type qui savait tout dans sa tête, qui pouvait vivre en mode avion parce qu'il avait tout le cloud dans la tête.
Dégradation de la conservation de l'information
[16:53] Et ensuite, ça s'est dégradé. C'est-à-dire que comme on ne pouvait pas tout stocker dans sa tête, on s'est dit on va stocker l'information à l'extérieur.
Donc on a mis sur des parchemins, on a mis sur des homoplates de chamonts, des surates du Coran qui sont écrites sur des homoplates de chamonts, des pierres, etc.
Et là, c'est posé le problème de l'accès à l'information, de comment j'accède à l'information, quelle information, la production de l'information, comment elle est personnalisée pour moi, pour mes besoins, etc.
Et progressivement, d'abord on les a mis dans des bibliothèques lointaines, après on a fait des livres, des presses, etc. Donc à partir de Saint-Jérôme, se crée toute cette histoire où tous les critères qui font que la technologie, du savoir, qui sont un mode d'accès, une exhaustivité de l'information, la personnalisation de l'information, la réactualisation, de l'information, tout ça.
L'incarnation de l'idée du créateur roi : Steve Jobs
[17:45] Et ce qui nous mène d'ailleurs à mes projections. Steve Jobs, il était indispensable parce qu'il est l'incarnation d'une idée contre, laquelle je, m'inscris, en faux, qui est celle du créateur roi. On a toujours cette idée de l'innovation de rupture, c'est-à-dire d'espèce de génie qui, en dehors de toute attente, invente un truc et change le monde comme si c'était une météorite qui tombait du ciel pour tuer tous les dinosaures, enfin alors qu'il n'y avait rien qui présageait tout ça.
D'ailleurs dans mon livre, dans toutes les étapes, c'est toujours Steve Jobs qui invente les trucs, Steve Jobs qui invente l'imprimerie, Steve Jobs qui invente la prise multiple, Steve Jobs qui invente le nabastac, Steve Jobs qui invente 36-15 ULA.
Monde Numérique :
[18:32] Quand on lit ce livre, il faut connaître le Rafi Haladjian quand même, c'est à qu'il faut savoir qu'il y a toujours une note d'ironie, de second degré, de dérision, etc, etc.
Et il faut arriver à lire derrière tout ça. Et donc Steve Jobs a inventé l'imprimerie et ensuite.
L'innovation et ses différentes théories
Rafi Haladjian :
[18:51] Et puis, il y a ce problème de l'innovation, enfin du terme innovation, innovant, etc. qu'on met à toutes les sauces aujourd'hui.
Et ce que je voulais, c'est faire un peu un rappel de...
Il n'y n'a pas vraiment de théorie de l'innovation. Il y en a une qui est celle de Christensen qui dit il y a des innovations de rupture et puis des innovations incrémentales. Je trouve que c'est un peu court.
Et donc j'en propose une en six couches. En télécom, on parle en couches, il y a la couche transport, il y a la couche d'applicative, etc.
Et je pense que l'innovation, ça marche de la même manière.
C'est qu'au début, il y a quelque chose qui est le terreau sur lequel une innovation, peut naître. C'est-à-dire une espèce d'attente du public, mais, qui est nourrie par l'innovation précédente. C'est que quand vous mettez de l'ADSL chez les gens, ils créent une addiction à l'Internet parce qu'ils ont, de l'Internet fluide, abondant chez soi, et donc ils commencent à s'en servir et donc ils en ont besoin.
Quand ils passent la porte de chez eux, il n'y a rien. C'est au début des années 2000.
Vous avez créé à la fois une addiction à l'Internet, mais en même temps, vous avez créé un manque. Quand ils sortent de chez eux, il n'y en a pas.
Monde Numérique :
[19:51] Et c'est ce que vous rappelez, et c'est vrai que c'est très important, c'est que l'Internet était intermittent et éphémère.
On se connectait à Internet et puis après, on coupait le modem, on éteignait l'ordinateur et on partait faire autre chose.
Rafi Haladjian :
[20:03] Voilà, et donc comment vous pouvez prétendre que quelque chose est important et utile et de dire mais c'est seulement à certains moments, à certains endroits et donc ça nourrit le besoin de l'étape suivante qui est de dire ben non j'en veux plein, j'en veux tout le temps.
Si c'est quelque chose sur lequel j'ai créé une dépendance c'est forcément ça, va prendre toute la place, ça va prendre tout le temps et tout l'espace et ce à quoi on est arrivé avec les réseaux sans fil, c'est à dire avec le réseau pervasif, le fait qu'on soit immergé dans le réseau et en tout cas qu'on soit immergé, dans cet accès permanent au contenu.
Monde Numérique :
[20:37] Et c'est vrai que j'avoue que la première fois que j'ai entendu cette notion là, c'était de votre bouche, Rafi Haladjian, où vous parliez de réseau pervasif, de connectivité qui sera partout.
Et je me souviens qu'on avait fait une interview il y a je sais pas combien d'années, où on comprenait pas forcément toutes ces notions là et vous étiez, vous aviez vu ce truc d'ultra connectivité permanente en fait.
Rafi Haladjian :
[21:02] De collectivité par défaut, c'est-à-dire qu'on considère que par défaut, il y a du réseau.
C'est quand il n'y en a pas que ça devient anormal, que ça devient un espèce de manque ou un truc.
Et donc ça, c'est ce que j'appelle la couche zéro, c'est ce moment où se créent, les addictions, où c'est une espèce de dépendance à la technologie et qui crée le besoin d'une évolution de la technologie.
Après, il y a la technologie proprement dite, ce qui est la couche C'est-à-dire, le fait qu'on invente des puces, des écrans, de wifi, etc.
Et on a toujours tendance à considérer que c'est l'invention d'une technologie, qui rend l'innovation possible, mais non, les technologies, d'abord, elles naissent un peu par hasard, toutes ne réussissent pas.
Et souvent, pour qu'il y ait une innovation, il faut que plusieurs technologies, se mettent ensemble pour que cette innovation soit possible.
Après, il y a la couche 2, qui est ma couche à moi, donc c'est pour ça que j'en parle, c'est celle...
Où on a cette intuition, où on prend les technologies qui sont disponibles et qui sont un peu brincobalantes, pas encore matures, etc.
On se dit peut-être qu'en prenant le Wi-Fi, ce RFID, qu'on fait pour les palettes, ces machins, en les mettant ensemble et en faisant un lapin, on peut faire quelque chose, mais c'est le moment où on bundle, en fait on crée une espèce de solution en scotchant les trucs ensemble.
On a eu un très joli cette semaine qui est celui de Humane par exemple, qui est typique d'une.
Human : La start-up américaine Human présente son AI Pin.
[22:30] Couche deux, c'est-à-dire quelque chose où on sent qu'ils se sont posé plein de problèmes et ils se sont dit, si on mettait un projecteur de pico et puis un truc...
Monde Numérique :
[22:39] Alors Human, on va rappeler en deux mots ce que c'est, donc Human c'est une start-up américaine qui a lancé ce produit qui s'appelle le AI Pin, qui est présenté comme le futur du smartphone mais qui n'est pas du tout un smartphone puisqu'il n'y a pas d'écran, c'est une sorte de gros pins, de gros broches qu'on peut accrocher à ses vêtements et avec lequel on peut interagir vocalement, de manière gestuelle, etc. C'est génial pour vous ça ?
Rafi Haladjian :
[23:03] Je trouve que c'est génial dans l'intention, c'est-à-dire ce truc de qu'est-ce, qui vient d'après le smartphone, parce qu'après tout, c'est ce que je raconte dans mon livre, qu'il y a fatalement un après-smartphone, après quelle forme ça prend, qui va gagner, etc.
Je pense que c'est pas humain, mais c'est bien, enfin je veux dire, ça va dans le...
Monde Numérique :
[23:22] Ça fait avancer le bouchon.
Rafi Haladjian :
[23:22] Ça fait avancer le bouchon et c'est comme ça que ça marche.
Les couches, ce que j'appelle les innovations de C2, c'est des gens qui essayent des trucs en prenant les technologies, en se disant c'est ça le problème et qui essayent des trucs. Avant qu'il y ait le smartphone, on a eu tous les PDA.
Avant le smartphone, on avait tous des panne-pilote, des cliés, des trucs qui téléphonaient, qui avaient des applications, qui faisaient pratiquement tout ce qu'on avait sur un iPhone.
Et c'est là que...
Monde Numérique :
[23:49] Et avec un stylet et pas très agréable à utiliser quand même.
Rafi Haladjian :
[23:52] Et après arrive l'innovation de C3 qui est l'innovation Steve Jobs, c'est vous prenez les trucs de la C2 et vous les faites en...
Vachement bien. Mais vachement bien, ça veut dire que vous anesthésiez chez l'utilisateur toute résistance.
Vous anesthésiez le truc de dire il est moche, non, il est joli.
Il est utilisable. Vous enlevez toute envie qu'il se pose quelques questions que ce soit.
Alors, l'anesthésie va jusqu'au prix. C'est-à-dire que ce que Steve Jobs a réussi, vachement bien avec l'iPhone, c'était pas seulement l'iPhone, c'était le fait d'avoir introduit le forfait data, parce qu'avant, on n'avait pas le forfait data.
Et il n'aurait pas inventé le forfait data, le fait de payer un prix unique pour consommer du smartphone de manière illimitée, il n'y aurait jamais eu de smartphone.
Donc tout ça, ça participe à ce travail d'anesthésie.
Et c'est ça qui fait que ça donne l'impression que l'innovateur de ces trois, est l'inventeur du truc, alors qu'il se fonde sur des choses qui viennent avant.
Monde Numérique :
[24:53] Donc l'innovateur n'est pas forcément celui qui va tout casser, mais c'est un peu, en contradiction avec ce que vous disiez tout à l'heure, non ?
C'est-à-dire que ça s'appuie, forcément, sur de l'existant en réalité.
Rafi Haladjian :
[25:08] Oui, c'est des gens qui sont de la couche en dessous et qui ont fait un certain travail, de la même manière que les gens de la couche 2 ne pouvaient pas faire des trucs tant qu'il n'y a pas les technologies, la partie vraiment technique, des choses pour faire exister ce qu'ils font, les gens de la C3 construisent les choses à partir d'usages, qui, ont été un peu défrichés ou détectés par des gens de la couche en dessous qui est la couche C2.
Monde Numérique :
[25:35] Et comment vous appelez, on va dire, le côté obscur de la force, c'est-à-dire les dérives de tous ces outils dans les usages, que ce soit au niveau des réseaux sociaux aujourd'hui, de l'intelligence artificielle au profit de la désinformation etc.
La C4 : les dérives des nouvelles technologies.
[25:55] C'est quoi, c'est la C4 ça ?
Rafi Haladjian :
[25:57] Oui, tout ce qui vient au-dessus de la C3, enfin la C3 fait des general purpose technologies, des choses qui ne sont pas destinées à un usage particulier comme un téléphone ou on peut dire que GPT, dont les initiales sont les mêmes que general purpose technologies.
Monde Numérique :
[26:17] Mais qui ne veut pas dire la même chose.
Rafi Haladjian :
[26:18] Qui sont destinés à plein d'usages et après au-dessus de ça, il y a des gens qui s'emparent de ça pour en faire des usages spécifiques de la même manière que Uber n'était pas possible sans qu'il y ait un smartphone.
Qu'il y ait des dérives, ben, c'est la...
Monde Numérique :
[26:42] Ça fait partie du jeu.
Rafi Haladjian :
[26:43] Ça fait partie du jeu.
Monde Numérique :
[26:45] Mais ça se paye cher.
Rafi Haladjian :
[26:48] Ouais, ça se paye cher, mais de la même manière que la construction des villes, après qu'au moment où les gens sont concentrés dans les villes, en quittant leur campagne, ça a créé des tas de problèmes qui étaient la pollution, les maladies, etc.
On a découvert des trucs par la concentration, mais ça peut être aussi des maladies de jeunesse.
Monde Numérique :
[27:12] Donc il peut y avoir ensuite encore une...
Rafi Haladjian :
[27:15] Quelque chose qui sauve, c'est que je pense qu'aujourd'hui on, va arriver à la fin des réseaux sociaux par contre, c'est une période transitoire.
La période actuelle qui est née à peu près au début des années 2010, c'est une espèce de période d'opulence où le but du jeu, où les grands gagnants étaient ceux qui montraient, qui faisaient étalage de choses.
Leur rôle était avant tout de concentrer l'information.
Comme on a eu de plus en plus d'informations, la valeur ajoutée, elle était dans le fait de concentrer les choses en un seul endroit.
Parce que avant, on allait ici ou là pour trouver l'information dont on avait besoin.
Et de plus en plus, à partir de 2010, on avait besoin d'un Google sur lequel je vais et à partir duquel j'accède à la liste complète de toutes les réponses à la question à laquelle je me pose.
Ou au lieu d'aller sur tous les blogs que je voulais consulter, j'allais sur Google et tout le monde était aligné ou sur Twitter ou n'importe, quoi, qui étaient des concentrateurs d'attention.
Je portais mon attention à un seul endroit et tout le monde défilait sur mon attention.
Mais aujourd'hui, il y en a de plus en plus, il y en a tellement que ça ne devient plus possible.
Le post-web : repenser le modèle de l'opulence.
[28:22] Et donc, on rentre dans cette phase suivante que j'annonce qui est le post-web, où ce modèle de l'opulence où il fallait montrer qu'on avait tout, mais c'est aussi valable sur Tinder, c'est aussi valable sur, je ne sais pas, booking.com en disant regarde voilà j'ai 3000 restos, 3000 filles, 3000 trucs, ça
[28:42] Devient ingérable et, c'est là que l'intelligence artificielle, générative, arrive.
L'intelligence artificielle générative fait son entrée
[28:49] À point de nommer pour dire mais je m'en fous que tu m'étales les 700 liens, dans lesquels je peux peut-être trouver la réponse à ma question, donne-moi la réponse, c'est-à-dire donne-moi, l'hôtel, où je veux, aller, présente-moi, la
[29:01] Fille, que, je veux, rencontrer, dis-moi les trois trucs que je veux savoir, c'est-à-dire qu'aujourd'hui on sait, qu'on a toute l'information, on est passé par ce stade un peu nouveau riche où on a besoin de montrer, de faire étalage de toute l'information, etc.
On a passé cet âge-là, c'est ce que j'appelle les maladies infantiles de l'information, on est content, une espèce de...
Mais au fur et à mesure qu'on devient plus adulte et plus mature dans la consommation d'informations, on s'en fout de savoir qui a tout, on veut juste avoir l'info dont on a besoin parce qu'on a autre chose à faire que de consulter de l'information.
La consulter de l'information n'est pas une activité en soi, elle vient en complément de la vie, de l'action, des choses qu'on a besoin de faire.
Et ce que je présente comme étant le post-web, c'est le moment où, on arrête de regarder un support pour bouffer de l'information, des fois qu'elle serait utile par la suite dans la vie quand même, mais pour avoir la juste bonne information au moment où on en a besoin.
Alors le poste web, on l'a là aujourd'hui, on l'a même depuis dix ans.
Monde Numérique :
[30:04] C'est quoi ?
Rafi Haladjian :
[30:04] Dans un truc que tout le monde connaît et personne l'appelle poste web, c'est le GPS.
L'expérience réelle du poste web, c'est le GPS.
Pendant que vous êtes en train de conduire, votre activité c'est conduire, c'est pas consulter de l'information.
Avant, qu'est-ce ce qu'on faisait quand on conduisait, avant de partir, on prenait une carte routière, on la prenait par cœur, on suivait avec le doigt le truc, on disait là, attends, après ça, il faut que je tourne ici.
Ou alors, il fallait qu'il y ait quelqu'un d'autre qui allait la carte en même temps, mais qui faisait le boulot du GPS.
Là, le trajet que j'ai à faire, je ne le connais pas. Je sais que je veux aller là, et juste à la microseconde où j'ai besoin de savoir si je dois tourner à gauche ou à droite, il y a un truc qui me dit tourne à gauche.
Et j'ai là juste bonne information au moment même où j'en ai besoin.
C'est une information utilitaire, elle ne me parle pas de trois quarts d'heure, elle ne me vend pas une pub en complément du truc et elle est fiable.
Et elle est fiable et je ne sais pas où je vais tourner après, etc.
Donc à partir du... on peut imaginer une espèce de GPS de tout.
Monde Numérique :
[31:10] Donc le PostWeb c'est le GPS du web.
L'assistant intelligent personnel du futur
Rafi Haladjian :
[31:12] Ça serait le GPS de l'information, c'est-à-dire qu'au moment où j'en ai besoin...
La bonne information me vient directement dans la tête.
Donc ce n'est plus le faux mot, c'est le « never missing out », ce n'est plus le « fear of missing out », mais le… Je sais que je suis confiant qu'il y a un truc qui, au moment où j'en ai besoin, va me donner la bonne info dont j'ai besoin.
Au moment où je rentre en réunion avec quelqu'un, il y a quelque chose qui me dit, le type que tu vas rencontrer, voilà qui c'est, voilà ce qu'il y a à savoir, etc., il va tout me dire. C'est ça le… ça pourrait être ça.
Le post-web. Alors évidemment au tout début pour faire ça c'est très compliqué.
La réalité augmentée ça aiderait avec des lunettes ou pas des lunettes etc.
Il faut des dispositifs en hardware, il faut des dispositifs en software, il faut du réseau etc. Mais c'est ça l'idée du post-web.
Monde Numérique :
[32:05] Mais c'est vrai que là les premières briques sont posées avec les assistants, Chajipiti, tout le monde qui va vers ce genre d'outils également, Microsoft, Google, etc.
L'Europe qui est un peu en retard encore une fois.
Et on en revient effectivement à ce type de joujou là dont on parlait tout à l'heure, le petit pins hyper intelligent qui serait notre assistant personnel.
C'est ce qu'explique aussi depuis quelques temps, depuis pas mal de temps, Yann Lequin, le grand ponte de l'intelligence artificielle, qui dit que demain on aura tous notre assistant intelligent personnel ou nos assistants intelligents personnels.
Rafi Haladjian :
[32:44] Oui, ça c'est vrai, mais par exemple ce qu'on peut voir dans Humane, c'est qu'il y a un truc qui est en retard là-dessus et sur lequel on travaille nous chez Juice, il faut bien que je parle un peu de Juice, deux secondes.
Mais l'idée de Humane, c'est que j'interroge Humane.
Il y a une différence entre mon esclave d'information, c'est-à-dire quelqu'un, qui est juste là en permanence et à qui je vais demander quelque chose, comme si je faisais une requête Google, mais avec la voix.
Donc, la seule économie que j'ai faite, c'est juste une économie d'interface, c'est-à-dire qu'au lieu de sortir mon téléphone, de taper la requête et d'avoir le truc, je vais le faire à la voix sans avoir à sortir le téléphone.
C'est cool, mais ce n'est pas suffisant.
Ce que je voudrais, c'est que sinon ce serait comme un GPS où à chaque tournant j'interrogerai mon GPS en disant il faut que je tourne ici ou pas et il me dirait non, ne tourne pas ici.
Monde Numérique :
[33:36] Oui, il n'est pas assez proactif en fait.
Rafi Haladjian :
[33:38] Voilà, le vrai assistant, si vous avez un assistant dans votre bureau, c'est pas quelqu'un à qui vous dites faites quelque chose, c'est quelqu'un qui prend les devants, qui est proactif, qui vous connaît suffisamment bien pour prendre les devants.
Monde Numérique :
[33:51] C'est un niveau d'intégration à, proximité, du cerveau humain qui peut aussi poser d'autres problèmes quand même.
Rafi Haladjian :
[33:59] Oui certainement.
Monde Numérique :
[34:01] Juice, parlons-en de Juice, donc c'est une application que vous avez lancée il y a quelques temps déjà ?
Rafi Haladjian :
[34:08] J'ai pensé Juice en même temps que j'ai commencé à écrire ce livre.
En fait, en écrivant ce livre, j'avais cette intuition-là, donc ça s'est traduit par écrire 420 pages et faire Juice.
Monde Numérique :
[34:18] Faire une appli qui permet d'écouter des contenus de manière délinéarisée, c'est donc du podcast, des émissions de radio, etc.
Rafi Haladjian :
[34:25] Ça c'est la version simple. En fait, en gros, l'idée c'est de construire pour, un utilisateur donné un programme sur mesure.
Et c'est la vraie idée à la fois du post web et de juice et d'ailleurs de l'IA générative, c'est-à-dire qu'on n'est plus dans un contexte dans lequel on, pré-fabrique, des, contenus.
Contenu génératif et personnalisé pour chaque utilisateur
[34:46] Qu'on, met, sur, une étagère dans lequel l'utilisateur vient faire son marché en se disant, ça, ça pourrait me convenir, etc.
Mais où on fabrique un contenu au vol pour un utilisateur donné et de manière jetable.
On peut imaginer que demain quand vous marchez dans la rue, la musique que vous écoutez est générée à ce moment-là, selon la vitesse de votre démarche, le temps qu'il fait, votre humeur du moment, etc.
Comme une musique de film, qui est la musique de film, elle vient habiller une séquence et lui donne une coloration, une interprétation à la truc.
Pourquoi vous voulez écouter une chanson qui a été composée il y a 40 ans et qui ne correspond pas du tout dans le contexte dans lequel vous êtes ?
Donc génératif à ce sens-là.
Génératif, ça veut dire quelque chose qui est fait pour vous. C'est qu'on déplace...
Le centre de gravité, non pas du côté du producteur qui est génial et qui va inventer des trucs, qui va les mettre sur une étagère en attendant que quelqu'un va le chercher, mais on va déplacer le centre de gravité vers le consommateur du contenu et pour dire c'est lui qui compte et on va fabriquer le truc qu'il veut ou dont il a besoin ici et maintenant sur mesure.
Et Juice, c'est ça, on n'y est pas encore.
Monde Numérique :
[36:00] Donc la contrainte c'est d'avoir, excusez-moi de revenir à des choses très pratiques, pratico-pratique mais donc ça veut dire avoir une oreillette en permanence dans l'oreille, pour Juice notamment, et avoir toujours ce petit assistant, ce petit Jiminy Cricket comme vous dites, qui vient nous susurer des trucs à l'oreille.
Rafi Haladjian :
[36:18] Voilà mais bon on est parti de l'oreillette parce qu'on sait, à partir de 2018-19, on s'est dit que l'Airpod était un peu la prothèse la plus, étendue dans le monde, c'est-à-dire qu'avant d'entendre que le, monde entier et des lunettes ou un pins ou un truc pour le faire en tout cas en attendant qu'on regarde dans le métro une personne sur deux a quelque chose dans les oreilles et donc on pouvait lui souffler des informations dans l'oreille et, il y avait déjà une base installée pour commencer à faire ça après c'est pas parfait évidemment c'est pas parfait parce qu'on n'a pas tout le temps sur ses oreillettes quand on travaille quand on est en famille etc mais c'est un bon début oui puis l'appli qui sait de ce dont on a envie à l'instant T aussi, elle n'est quand même pas prête de voir le jour.
Il faut commencer un jour.
L'avenir : oreillette, métaverse ou réalité virtuelle?
Monde Numérique :
[37:08] C'est sûr. Bon, alors l'avenir, c'est quoi, Rafi Haladjian ?
C'est peut-être l'oreillette, c'est le, métaverse ou c'est la réalité virtuelle ou pas ? On en parlait au début.
Rafi Haladjian :
[37:21] En tout cas, ce n'est pas le métaverse.
Monde Numérique :
[37:23] C'est sûr, c'est plié, c'est non ?
Rafi Haladjian :
[37:25] Non, je l'explique longuement dans le livre parce que j'ai perdu beaucoup de temps avec le métaverse.
Monde Numérique :
[37:30] Pourquoi ce n'est pas le métaverse ?
Rafi Haladjian :
[37:31] Parce que justement, l'intérêt de faire un truc historique, c'est qu'on, montre, que les choses ont été suffisamment cohérentes, et le métaverse est une espèce d'aberration totale.
C'est pourquoi, à un moment donné, vous allez casser la progression pour dire maintenant on arrête tout ça, on va dans le métaverse.
Monde Numérique :
[37:54] Ça peut être un prolongement, c'est pas forcément une cassure.
Rafi Haladjian :
[37:57] Mais aujourd'hui le nœud du problème c'est le smartphone, c'est que si votre truc c'est pas le remplaçant du smartphone, vous avez peut-être un marché, vous avez peut-être un truc qui marche, peut-être que vous êtes l'avenir des jeux vidéo, vous êtes l'avenir de je sais, pas, d'un certain nombre d'applications, qu'il n'y ait pas d'application pour le métaverse, je ne dis, pas, enfin je veux dire, il y a probablement des trucs cools à faire avec le métaverse, mais si c'est pas le next big thing, on s'en fout.
Monde Numérique :
[38:24] L'annexe Big Ten, on a pensé que c'était les lunettes. Échec des Google Glass.
Aujourd'hui, on voit cette tentative de petits pins à mettre sur le revers de sa veste.
L'oreillette, ce n'est pas facile. Après, peut-être qu'il faut attendre encore un peu.
Rafi Haladjian :
[38:40] Non, le fait qu'on n'y est pas, ça ne veut pas dire que ce n'est pas la direction à suivre.
En tout cas, c'est ça la direction à suivre et qu'entre-temps, on ne va pas se contenter d'un Metaverse et d'un gros casque qu'on se met sur la tête et enfin, tout, dans, le Metaverse est aberrant par rapport à l'histoire, c'est que tout, tout...
Monde Numérique :
[39:03] Pourtant, Apple, qui est la filiation de votre, j'allais dire, idole, c'est un peu réducteur, mais de Steve Jobs, ne parle pas de Metaverse, c'est un gros mot chez Apple, mais en revanche, ça y est, ils sont partis pour proposer leur casque de réalité immersive, etc..
Rafi Haladjian :
[39:19] Le Vision Non mais qui est un usage pour, c'est-à-dire qu'au lieu d'avoir une télé 8K, 12K, peu, importe chez vous, que vous ayez un casque, ouais nice, enfin je veux dire, vous allez regarder des films avec un casque, ça va être super comme expérience, mais ça va pas changer la vie.
Aujourd'hui, le smartphone, l'idée c'est de savoir quel est le truc qui va compléter votre vie H24.
Et c'est certainement pas le Vision Pro, en tout cas dans sa forme actuelle, et ni même dans la façon dont il le présente.
Le Vision Pro c'est une espèce de super écran, d'ailleurs tous les usages qu'ils, ont montré dans le jour de l'annonce, c'était l'espèce d'écran immense que j'ai sur la tête.
C'est comme si j'avais une géode que je mettais sur la tête et puis j'avais des images qui étaient formidables pendant une heure et demie.
Et... mais... mais...
Monde Numérique :
[40:11] Oui, ça peut être un...
Rafi Haladjian :
[40:13] Mais c'est un truc... Ouais, cool. Enfin, je ne dis pas que les choses ne sont pas cool.
Mais sinon...
Monde Numérique :
[40:20] On ne s'y voit pas comme... Enfin, on ne voit pas... Il passait sa vie, quoi.
Mais enfin, on ne voyait pas passer sa vie sur Internet quand Internet est arrivé.
Et alors qu'aujourd'hui, même quand on regarde un film à la télé, on est connecté et on scroll en même temps.
L'importance de l'autonomie des appareils technologiques
Rafi Haladjian :
[40:37] Oui, en tout cas, tant qu'on ne peut pas sortir avec quelque chose et qu'il n'a pas au moins 16 heures de batterie, ça ne peut pas être le next big thing.
La raison pour laquelle j'étais convaincu que les oreillettes étaient une piste, c'est qu'un jour, j'ai dîné avec mon copain Félix, qui est vieux comme moi, et il m'a dit « Regarde, j'ai des prothèses auditives, c'est génial, je les mets le matin et je les enlève le soir, elles ont 16 heures d'autonomie, de batterie ». Et à l'époque, on parlait des Google Glass qui avaient une demi-heure d'autonomie.
Et ça, ça a été l'éclipse. Et la techno était là. Enfin, je veux dire, peut-être que c'était pas forcément le truc le plus clinquant, le plus spectaculaire et peut-être qu'on pouvait faire un truc low-tech à base de trucs qui soufflent dans l'oreille.
Monde Numérique :
[41:20] Bon, il n'y a plus qu'à. Il faut continuer le chemin. Merci beaucoup, Rafi Haladjian.
Rafi Haladjian :
[41:25] Merci, Jérôme.
Monde Numérique :
[41:26] Et je rappelle votre livre Tentative d'épuisement de l'avenir du futur, aux éditions Nautilus. Voilà, merci beaucoup d'avoir été dans Monde Numérique.