[En partenariat avec Orange] A quoi servent les brevets pour les entreprises de technologies ? Lyse Brillouet, directrice de la propriété intellectuelle chez Orange, décrypte les enjeux de cette bataille mondiale.
Pour les grands groupes comme pour les startup, les brevets sont une composante essentielle de l’innovation technologique. Ils servent en priorité à protéger les innovations contre la contrefaçon. Ce que l'on sait moins, c'est qu'ils contribuent aussi au rayonnement et à l'avancée des technologies. En ce sens, une politique de brevets n'est pas contraire au partage de connaissances en open source et il s'agit même d'une démarche complémentaire, selon Lyse Brillouet. Les entreprises de technologies déposent des milliers de brevets par an. Les Asiatiques et les Américains sont particulièrement actifs mais les Européens ne sont pas en reste. Orange dispose d'un portefeuille d'environ 10 000 brevets.
Monde Numérique : On va parler d'un élément très important dans l'innovation technologique la question des brevets. C'est notre rendez vous mensuel en partenariat avec Orange. Bonjour. Lyse Brillouet Bonjour,
Lyse Brillouet : Bonjour Jérôme Colombain
Monde Numérique : Vous êtes directrice de la propriété intellectuelle du groupe Orange. En anglais, on appelle ça CIPO Chief IP Officer. Alors avant toute chose, Lise D'une manière générale, les brevets dans les entreprises de technologie, ça sert à quoi? Très concrètement?
Lyse Brillouet : Alors les brevets dans les dans le domaine des nouvelles technologies servent avant tout à protéger les inventions, les découvertes qui sont mises au point par les chercheurs ou par les inventeurs. Et ce capital brevets. Il peut être aussi bien utile dans une petite entreprise, dans une start up qu'un très grand groupe. Bien sûr, il n'aura pas forcément le même objet, mais protéger l'invention, c'est capital. Qui que l'on soit, et encore plus aujourd'hui dans le domaine des nouvelles technologies où il y a énormément de compétition, énormément de batailles. Donc pour une startup par exemple, ça va vraiment être de protéger ce qui va être le cœur, le moteur de la création de la start up, de l'entreprise. C'est ce qui va aussi souvent permettre de lever des fonds considérables et de donner la confiance vis à vis des actionnaires. Et puis dans une grande entreprise, mais là, on va avoir des brevets qui vont être plus multi-facettes, qui vont toujours bien sûr protéger les découvertes qui sont mises au point par les salariés de l'entreprise, mais ça va être aussi des leviers dans nos partenariats, nos négociations. Ça va potentiellement être aussi des revenus parce qu'on pourra monétiser ces ces, ces brevets. Ça va être aussi une façon peut être parfois d'ancrer un nouveau territoire technologique sur lequel on n'attend pas forcément l'entreprise, parce que par les brevets, on va créer une légitimité technique de fait.
Monde Numérique : Par exemple, chez Orange, vous déposez quel type de brevets?
Lyse Brillouet : Alors chez Orange, on dépose déjà beaucoup de brevets, presque un brevet par jour travaillé. On a un portefeuille aujourd'hui qui se rapproche des 10 000 brevets et donc on a des brevets sur de multiples sujets, des sujets qui sont vraiment le cœur de nos métiers sur la technique, les réseaux, les infrastructures, la radio, les codecs, etc. Et puis on va avoir des brevets qui sont sur des univers qui sont plus différents, qui vont aller chercher plus d'originalité qu'ils ont, qui vont être plus en marge, entre guillemets, de nos gros enjeux cœur business. Et puis on va aussi avoir des brevets qui dessinent notre futur technologique, des brevets, des paris pour dans dix ans, dans quinze ans, sur le quantique, sur l'intelligence artificielle, sur la cybersécurité, sur la cryptographie. Voilà donc des brevets de tous poils, si j'osais, une très très grande variété de brevets et qui donnent lieu à des écritures complexes.
Monde Numérique : Ce qui est étonnant, c'est que beaucoup d'entreprises déposent des brevets, mais pas forcément pour développer ensuite les applications liées à ces brevets. Parfois c'est juste pour protéger une idée. C'est ça?
Lyse Brillouet : Tout à fait. Parce que on oublie souvent que le brevet à la base c'est un droit d'interdire. Donc le brevet est là pour contrer quelque part la concurrence. C'est vrai que dans le domaine de l'industrie, des télécoms, on fonctionne un petit peu différemment parce que beaucoup de nos brevets, au contraire, sont mis quelque part au service du bien commun et de nos technologies ouvertes, accessibles à tous, pour favoriser l'adoption des générations de réseaux mobiles par exemple comme la 4G, la 5G. Et donc du coup, on a un paradigme, il y a une clé de lecture qui est un peu différente. Mais oui, à la base, le brevet c'est vraiment fait pour protéger le capital intellectuel de l'entreprise qui fait l'essence même et la valeur de ce que l'entreprise propose à son public.
Monde Numérique : On sait que c'est un élément de communication aussi très important. Est ce que les entreprises américaines et asiatiques d'ailleurs, ne sont pas plus portées sur les brevets encore que les entreprises européennes.
Lyse Brillouet : Alors plus portées sur les brevets? Je ne sais pas. En tout cas, elles sont extrêmement actives et dynamiques. Il faut voir aussi que c'est des des plaques continentales où on trouve des géants du numérique, donc ils veulent vraiment conserver aussi cette pôle position. Donc ils déposent des brevets à tour de bras. En Europe, on a quand même une une dynamique inventive qui est très très forte et qui est aussi répartie sur les grandes entreprises et les plus petites, toutes industries confondues. Et donc le domaine du numérique, y compris en Europe, est devenu le premier domaine de dépôt de brevets en Europe, devant la pharmacie. Désormais donc, nous aussi on est très très dynamique. Par contre, voilà, on joue dans la cour des grands avec en face de nous des Microsoft, des Amazon, des Samsung qui ont des centaines de milliers de brevets.
Monde Numérique : Comment ça se passe dans une entreprise ? Et lorsque c'est un salarié qui invente quelque chose, le brevet est déposé. Au nom de qui ? De l'entreprise ou du salarié ?
Lyse Brillouet : Alors de. En règle générale de l'entreprise, il existe deux cas de figure soit un salarié dans son contrat de travail. Il est entendu. Et qu'il est là pour faire de l'innovation et auquel cas son invention échoit naturellement par le biais de son contrat de travail à l'entreprise. Et puis, dans certains cas, on a des inventions qui sont mises au point par des salariés qui ont plutôt été dans une logique de trouver une solution à un problème et dont le métier n'est pas de faire de l'innovation. Et là, du coup, on a un système interne qui nous permet de faire en sorte que cette invention devienne celle de l'entreprise et qu'on puisse du coup la déposer. Il faut quand même voir que déposer un brevet, ça demande beaucoup d'expertise, de technicité et d'investissement parce que c'est un investissement important en termes de coût. Et donc de toute façon, ce sont des inventions. Très certainement que peu de salariés auraient à cœur de faire progresser eux mêmes parce que ça demanderait trop d'expertise et ce serait trop coûteux.
Monde Numérique : D'un point de vue plus global. Les brevets. On parle beaucoup des brevets, mais on parle aussi de plus en plus de de l'open source dans plein de domaines. Ça apparaît comme une solution intéressante, notamment en matière de souveraineté. Donc ça, ça concerne beaucoup l'Europe, donc l'open source des solutions logicielles ou matérielles qui sont ou qui deviennent propriété de tous. Public Comment est ce que ça se concilie avec la logique des brevets?
Lyse Brillouet : Oui alors c'est vrai que dans l'image collective, on pourrait avoir tendance à opposer le brevet et l'open source. En fait, il n'en est rien du tout. Il faut absolument qu'on déconstruise cette idée reçue parce que brevets et open source sont tout à fait compatibles. D'abord, l'open source. Il n'y a pas une unicité d'open source, il existe de multiples variantes de l'open source et donc tout n'est pas forcément mis, comme vous le dites là, dans votre question, en commun gracieusement pour tous. Non, il existe toute une granularité d'open source où on va plus ou moins ouvrir, on va dire les cartons de l'invention qui est placé comme ça dans un creuset un peu collectif. Et puis en plus de ça, l'open source. C'est vrai que dans cette image un peu externe, on pourrait penser que c'est gratuit. En fait non, c'est pas gratuit du tout. L'open source pour que ça vive, il faut qu'il y ait une communauté derrière. Donc il faut des experts, des inventeurs, des chercheurs, des ingénieurs qui restent tout à fait mobilisés pour s'occuper de ces inventions ou de ces codes ou de ces logiciels qui sont mis en open source. Et donc c'est aussi un vrai investissement. Voilà. Et on a parfois des brevets qui sont dans des logiciels open source et qui vont pouvoir être tout à fait concilier avec la mise en partage d'un certain nombre d'éléments pour que ça bénéficie au plus grand nombre. Et souvent, c'est aussi dans une perspective de créer comme des standards de fait, de favoriser des adoptions ou aussi de créer une maille industrielle nécessaire à ce que quelque chose décolle. Voilà. Mais ça n'est absolument pas antinomique. On sait très bien marier le brevet et l'open source.
Monde Numérique : Vous avez des exemples? Un exemple pour illustrer ce que vous venez d'évoquer.
Lyse Brillouet : Par exemple, c'est ce que font la plupart des géants numériques américains, à commencer par Google, qui va vous mettre à disposition un certain nombre de services logiciels gratuitement, comme par exemple Google Maps. Et puis, si vous voulez des caractéristiques beaucoup plus complexes sur Google Maps parce que vous êtes une entreprise et que vous avez besoin de développer par exemple un service spécifique sur la base d'un Google Maps pour exploiter quelque chose dans votre entreprise, et bien finalement, vous allez devoir payer une licence sur une caractéristique plus complexe qu'il va falloir que vous embarquiez au travers d'une API ou que sais je dans votre propre service. Donc c'est souvent le moteur aussi des grands acteurs du numérique d'avoir les premières couches de services mise à disposition gratuitement, très attractive. Mais après quand on a besoin de choses beaucoup plus complexes ou personnalisées, et bien là du coup, ça n'est plus accessible sur étagère gratuitement.
Monde Numérique : D'accord. Encore une question les nouvelle réglementation est en préparation au niveau européen. Qu'est ce que ça pourrait changer?
Lyse Brillouet : Alors oui, c'est vrai que la Commission s'intéresse aux brevets parce que c'est c'est important, et puis c'est une façon aussi de concourir à la souveraineté continentale et puis de de préserver une industrie du numérique motivée, motivante. Voilà. Donc ce texte qui est en préparation vise surtout à apporter plus de transparence, justement dans les brevets qui sont embarqués dans les inventions numériques. Et ça, c'est une très bonne chose de faciliter aussi l'accès à ces technologies au plus grand nombre, y compris aux petites entreprises. Après, on est justement dans la période de dialogue avec la Commission européenne pour arriver à un projet de réglementation équilibré et qui sache être un bon compromis entre les intérêts de tous les petites comme les grandes entreprises, comme les États membres.
Monde Numérique : Merci beaucoup. Lise Brouwet, directrice de la propriété intellectuelle du groupe Orange.