Au moment où Google présente une nouvelle "super IA" et alors que ChatGPT fête son premier anniversaire, l'Europe, de son côté, tente péniblement de boucler l'AI Act.
Le contraste est saisissant. D’un côté, les géants américains qui multiplient les innovations spectaculaires en matière d'intelligence artificielle, et, de l'autre, la vieille Europe qui joue sa carte traditionnelle : celle du bon gros règlement. Deux salles, deux ambiances... Exactement dans la même semaine.
Doit-on se réjouir d'être toujours à la pointe du principe de précaution ou bien se désoler d'en être réduits à tenter de règlementer des IA qui nous échappent ? Où sont les ChatGPT, les Gemini européens ? Où sont les LLM biberonnés à la culture européenne et pas seulement aux corpus anglo-saxons ? Dans cet édito, on se pose la question du recommencement permanent de l'Histoire des technologies en Europe par rapport aux Etats-Unis. Attention : la réponse ne va pas vous surprendre.
Transcription
D’un côté Google, qui vient de présenter sa nouvelle intelligence artificielle Gemini, une super IA multimodale, encore plus puissante que ChatGPT, capable de comprendre le texte, les images et le son. De l’autre, l’Union Européenne, qui peine à mettre en place, non pas une super IA, mais sur une super loi pour les réglementer toutes, les IA. Et on va voir ce qu’on va voir ! Le parallèle est étonnant, d’autant qu’il intervient exactement au même moment. C’est cette même semaine que ChatGPT fête son premier anniversaire, que Google lance Gemini et que l’UE boucle l’AI Act à Bruxelles. Voilà sur quoi s’achève l’année 2023, qui aura été l’an I de la révolution de l’intelligence artificielle générative. Le moins qu’on puisse dire, c’est que c’est vraiment : deux salles, deux ambiances… Le contraste est saisissant.
D’un côté, les Américains s’apprêtent à croquer le monde à coup de LLM – pour notre plus grand bonheur, évidemment puisque la future IA de Google va révolutionner la recherche en ligne en nous faisant passer de l’ère de la profusion à l’ère de la précision… Et de l’autre côté, le Vieux Continent qui aborde ce nouveau siècle avec sa bonne vieille méthode : pondre du règlement. Alors ce n’est pas qu’on n’en a pas besoin des règlements. Loin de là. C’est important. C’est ce qui nous protège des effets pervers de toutes ces belles innovations révolutionnaires venues d’outre-Atlantique. Mais si on avait aussi autre chose à se mettre sous la dent, ce serait quand même pas mal. Outre le fait que cela va encore donner l’image d’un continent de fonctionnaires de l’innovation, cela met surtout en évidence le manque cruel d’innovation et de souveraineté technologique. Où sont les grands systèmes d’intelligence artificielle européens ? Ou sont les ChatGPT, les Midjourney ou les Gemini français ou allemands ? Où sont les LLM alimentés à la culture européenne et pas seulement biberonnés aux corpus anglo-saxons ?
Alors certes, « L’Europe sera bientôt la première démocratie à se doter d’un cadre législatif pour l’intelligence artificielle », explique le ministre du numérique Jean-Noël Barrot. Oui, mais nous serons également les derniers à posséder nos propres outils à réglementer. D’ailleurs, le ministre le dit aussi : « La meilleure protection c’est d’avoir des modèles européens ». Au lieu de cela, nos gros cerveaux continuent de s’exiler, comme Yann Le Cun qui vient de recevoir la légion d’honneur pour ses travaux sur le deep learning, et qui roule aujourd’hui pour Meta. Au lieu de ça, nos pépites sont en passe de passer sous pavillon étranger, comme la startup Mistral AI dans laquelle le puissant fond d’investissement américain Andreessen Horowitz est prêt à injecter des centaines de millions de dollars.
Décidemment, c’est toujours la même histoire. Comme pour l’avènement d’Internet, du GPS ou du cloud… Comme pour plein d’autres aventures technologiques, l’histoire de ces brillants Français et des brillantes idées européennes qui se font griller au poteau par les cowboys lancés au grand galop, les poches pleines de dollars. La rengaine est connue et la complainte est un peu facile, j’avoue. Alors que faudrait-il ? Un soutien plus actif de l’État à travers des commandes publiques ? Moins de frilosité de la part des grandes entreprises face aux technologies européennes ? Plus d’ambition dans le financement et moins de scrupules ? Plus d’initiatives privées ambitieuses, comme le centre de recherche Kyutai de Xavier Niel ? Sans doute un peu tout cela. Mais on voit bien que rien ne changera vraiment. Nous aurons bientôt de belles intelligences artificielles américaines ou chinoises pour nous changer la vie et de belles lois hexagonales pour nous dire comment les utiliser.