Convaincu que l’IA peut apporter énormément à la fabrication de l’information, j’ai décidé de faire travailler un « journaliste virtuel ».
Depuis quelques semaines, en l’absence de notre intervenante habituelle, Lisa Debernard, L’Actu de la Semaine de L’Hebdo de Monde Numérique est présentée par Nicolas. Or, Nicolas n’existe pas. Enfin, pas vraiment. Nicolas est une voix synthétique, plus vraie que nature, générée par intelligence artificielle.
Vous avez dit journaliste virtuel ?
En réalité, comme vous allez le comprendre, Nicolas n’a de journaliste que sa voix. Alors, quel est l'intérêt de passer le micro à un intervenant virtuel dans l’émission plutôt que de tout faire moi-même ? Il s'agit de dynamiser le programme afin de rendre l’écoute plus agréable, et de maintenir l’attention de l'auditeur. Une bonne vieille règle de radio.
Le choix de la technologie
Pour trouver une voix qui corresponde le mieux au style « info » que je recherchais, je me suis orienté vers la plateforme américaine Eleven Labs. J’ai opté pour la voix clonée d'un professionnel français de la radio qui avait fourni d’excellents échantillons, ce qui donne un résultat particulièrement réaliste, avec toutes les nuances et l'intonation de la voix originale.
Maîtrise du contenu
Sur le fond, ma préoccupation est de conserver une totale maîtrise du contenu diffusé. Bien que la voix soit générée par une IA, chaque script d'actualité est donc écrit par moi-même. J'utilise parfois des outils comme ChatGPT pour générer des ébauches ou des idées, mais la finalisation reste toujours de ma main. Cela garantit l'intégrité et la précision de l'information, tout en reflétant ma vision du sujet.
Maîtrise du style
Une fois le texte écrit, Nicolas se charge alors de le prononcer. Le résultat est juste bluffant. Mais ce n’est pas toujours parfait, et il faut parfois s’y reprendre plusieurs fois car l’IA a tendance à halluciner et à prendre soudain des accents bizarres (c'est amusant mais pas très pro). Ce n’est pas un gros problème, car je peux refaire à l’infini les passages imparfaits. Je peux aussi régler le niveau d’emphase pour faire plus réaliste. En revanche, on ne peut encore paramétrer finement le débit ou le style d’élocution, mais c’est prévu avec une prochaine évolution de l’outil. Quant au faux Nicolas, il ne se lasse jamais. D’autant qu’à chaque mot généré, le vrai, celui qui a prêté sa voix, touche quelques cents d’Euros.
Et l’éthique dans tout ça ?
Naturellement, l'utilisation de l'IA pour la diffusion d'informations soulève des questions éthiques. Selon moi, le plus important est de ne pas tromper le public et donc, pour cela, d'indiquer clairement qu’il s’agit d’une voix de synthèse et que tout ce que dit Nicolas est validé par moi-même. En outre, je fais en sorte de limiter l’anthropomorphisme, mais en jouant quand même un peu la carte de la convivialité (« Nicolas, explique-nous ça… »).
Bénéfice économique et journalistique
L’utilisation de cette technologie présente des avantages à la fois économiques et journalistiques. En effet, le coût d'une voix générée par IA, même payante, est sans commune mesure avec l’emploi d'un présentateur réel, qui implique le paiement, non seulement, d’une légitime rémunération mais aussi de toutes sortes de sympathiques charges et taxes variées qui nous tombent dessus sans crier gare, et qui sont difficilement assumables par une petite structure. Sur le plan journalistique, il y une vraie logique dans la mesure où j’ai déjà l’habitude d’être très (trop ?) directif avec un intervenant extérieur humain, et à passer toujours beaucoup de temps à corriger ses textes.
Des réactions mitigées
J’ai interrogé mes auditeurs pour savoir ce qu’ils pensaient de cette expérience et leur réactions sont partagées. Une majorité trouve que la voix est extrêmement réaliste et ils semblent se satisfaire du résultat. D’autres, au contraire, préfèrent Lisa 🫶 et émettent des réserves, qui semblent surtout porter sur le principe du remplacement d’un humain par un robot. La réaction qui m’a le plus troublé est celle d’un auditeur qui n'avait pas apprécié un commentaire humoristique de Nicolas, mais qui a semblé oublier le fait que Nicolas n’a, en réalité, aucune personnalité propre en dehors de celle que je lui accorde. Cela m’a alerté sur les vrais risques de confusion entre réel et virtuel de la part de certaines personnes.
Journalisme augmenté
Il est crucial de souligner que mon objectif n'est pas de remplacer le journalisme humain par des machines. Au contraire, il s'agit d'augmenter les capacités du journalisme traditionnel en utilisant l'IA pour améliorer la présentation et la distribution de l'information. Cette technologie permet d'explorer de nouvelles façons de communiquer, tout en respectant et en valorisant le rôle essentiel des journalistes, notamment dans un cadre économique contraint. La technologie ouvre de nouvelles portes et propose de nouveaux outils pour raconter le monde.
Conclusion
En intégrant une voix par IA à mon podcast, j'ai le sentiment de franchir un pas vers un futur inévitable des médias. Je ne pense pas que nous aimerons écouter, demain, des émissions entièrement réalisées par intelligence artificielle; mais je crois que l’information se fera certainement à l’aide de toutes sortes d’intelligences artificielles pilotées par humains. Loin d'éloigner l'humain de l'information, cela offre une plus grande flexibilité dans la manière de présenter et de discuter des actualités. L'IA est un outil et c'est le journaliste qui reste au cœur du processus éditorial. Seules les « petites mains », apportant peu de valeur ajoutée, pourraient en subir les conséquences, comme lors de toutes les évolutions technologiques. Une vraie révolution est en marche et il ne sert à rien de rester au bord du chemin. Je suis persuadé que les professionnels doivent, au contraire, se saisir au plus vite de ces outils.
🎧 À écouter aussi 👉 comment j'ai retrouvé le "vrai Nicolas"
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