🎤 Interview - Dans les coulisses du nucléaire de demain (Julien Villeret, EDF)
22 octobre 202513:09

🎤 Interview - Dans les coulisses du nucléaire de demain (Julien Villeret, EDF)

L’intelligence artificielle consomme une énergie colossale. Pour faire tourner leurs data centers, les géants du numérique — Microsoft, Google, Amazon — se tournent vers… le nucléaire. Julien Villeret, directeur de l’innovation d’EDF, décrypte la nouvelle alliance entre IA et énergie atomique.

L’intelligence artificielle consomme une énergie colossale. Pour faire tourner leurs data centers, les géants du numérique — Microsoft, Google, Amazon — se tournent vers… le nucléaire. Julien Villeret, directeur de l’innovation d’EDF, décrypte la nouvelle alliance entre IA et énergie atomique.

En partenariat avec EDF

Interview : Julien Villeret, Directeur de l’innovation d’EDF

Le nucléaire est-il en train de vivre une nouvelle révolution technologique ?

Absolument. Le World Nuclear Exhibition, qui se tient tous les deux ans à Paris, est un peu le « CES » du nucléaire civil. On y retrouve plus de 1 000 entreprises et 23 000 visiteurs, venus découvrir les innovations qui transforment une industrie souvent perçue comme figée. Chez EDF, nous présentons de nombreuses avancées qui modernisent nos centrales et améliorent leur efficacité. L’idée, c’est de montrer que le nucléaire, loin d’être une technologie du passé, est un secteur d’innovation continue.

Quelles sont les innovations les plus marquantes dans le nucléaire aujourd’hui ?

Il y a les grands projets, comme les nouveaux réacteurs EPR2 ou les petits réacteurs modulaires (SMR), mais les vraies révolutions se jouent aussi au quotidien.
Je pense par exemple à Metroscope, une société que nous avons créée en 2017. Elle développe des jumeaux numériques de centrales, véritables copies virtuelles pilotées par l’intelligence artificielle. Lorsqu’une anomalie apparaît dans une centrale réelle, le modèle est interrogé — un peu comme on le ferait avec un chatbot — et il identifie la cause probable de la baisse de performance. Résultat : des diagnostics plus rapides et jusqu’à 500 000 dollars d’économies par centrale et par an.
Autre exemple : Ixir, qui exploite l’IA pour analyser les retours du terrain, souvent rédigés en langage naturel par les techniciens. L’outil détecte les fournisseurs ou pièces posant problème de manière récurrente, permettant une maintenance préventive et des gains considérables.

Le nucléaire attire désormais les géants du numérique. Pourquoi cet intérêt ?

Parce que l’intelligence artificielle consomme énormément d’électricité. Les data centers, notamment ceux utilisés pour entraîner des modèles d’IA, nécessitent une énergie continue et bas carbone. Le nucléaire est donc la solution idéale : propre, stable et massive. Des acteurs comme Microsoft, Amazon ou Google annoncent désormais des projets de réacteurs dédiés à leurs infrastructures. Cela traduit un tournant majeur : l’énergie devient un levier stratégique pour le numérique.


Julien Villeret: [0:01] Tous les grands acteurs du numérique, donc là je cite Microsoft, Amazon, Google et les autres, ont tous annoncé des projets de nucléaire directement Julien Villeret: [0:11] liés à l'alimentation de leur data center. C'est-à-dire que dit autrement, au-delà des opérateurs comme EDF qui fournissent énormément d'électricité, ces grands du numérique ont aussi en projet de développer leurs propres réacteurs, soit en partenariat, soit en direct, pour pouvoir aller alimenter leurs data centers. Monde Numérique : [0:37] Bonjour Julien Villeret. Julien Villeret: [0:39] Bonjour Jérôme. Monde Numérique : [0:40] Directeur de l'innovation d'EDF, ravi de vous retrouver comme chaque mois dans Monde Numérique en partenariat avec EDF pour parler cette semaine de nucléaire. C'est un peu au cœur de la révolution, notamment de l'intelligence artificielle aujourd'hui, le nucléaire, l'énergie d'une manière générale et début novembre doit se tenir à Paris-Nordville-Pinte, le World Nuclear Exhibition. Alors c'est un salon très professionnel, mais c'est un déballage d'innovation en matière de nucléaire, c'est ça ? Julien Villeret: [1:07] Oui, c'est le salon international du nucléaire civil. Ça a lieu tous les deux ans. C'est un peu le CES du nucléaire, d'une certaine mesure. C'est-à-dire qu'il y a quand même plus de 23 000 visiteurs. En tout cas, en 2023, il y avait tant de visiteurs que ça. 1000 exposants et entreprises qui sont présentes. Donc, c'est vraiment un moment important pour la filière. Et c'est vrai que quand on pense nucléaire, on pense plutôt à des installations industrielles qui ont été construites dans les années 80, 90, etc. Mais en fait, il y a énormément d'innovations en permanence dans le nucléaire. Et puis, évidemment, EDF, en tant qu'un des premiers exploitants nucléaires au monde, on est très, très présent, en fait, sur toutes ces innovations nucléaires qu'on va présenter sur le salon. Et donc, je me suis dit que ce n'était pas inintéressant qu'on en partage quelques-unes aujourd'hui. Monde Numérique : [1:50] Oui. Mais alors, c'est quoi les innovations dans le nucléaire ? Parce que, oui, c'est une technologie ancienne, malgré tout, le nucléaire. Julien Villeret: [1:56] Évidemment. Et quand on pense innovation dans le nucléaire, souvent, on entend les nouvelles centrales, les nouveaux types de réacteurs. L'EPR, l'EPR2, les SMR, donc les petits réacteurs modulaires. Donc, ça, évidemment, tout ça, il y a plein d'innovations. Mais en fait, ce qui est vraiment intéressant, c'est les innovations du quotidien, j'allais dire, qui se développent dans ou autour des centrales existantes. Et c'est là où aujourd'hui, il y a des vraies, vraies innovations. Par exemple, je crois que c'est une société dont on a déjà parlé il y a quelque temps dans ce podcast, mais qui s'appelle Metroscope, qu'on a créé en 2017. Cette société, en fait, elle crée des jumeaux numériques de centrales. C'est quoi un jumeau numérique de centrale ? C'est un ensemble d'algorithmes, c'est de l'intelligence artificielle, c'est un ensemble d'algorithmes qui copient de façon numérique, dans des serveurs, en mode SaaS, une centrale nucléaire. Vous allez me dire, ça sert à quoi ? Monde Numérique : [2:48] Ça sert à quoi ? Julien Villeret: [2:49] Ça sert à avoir une copie de la centrale physique et dit autrement, ça permet d'interroger le modèle comme on interrogerait d'une certaine façon un tchat GPT. Et je m'explique. Dans ma centrale qui produit une électricité X, tout d'un coup, il y a quelque chose qui dysfonctionne. Elle produit un peu moins. Et je me dis, tiens, qu'est-ce qui se passe ? Je vais aller interroger le modèle en disant, tiens, voilà les paramètres de la centrale. J'ai une baisse de production d'électricité. Qu'est-ce qui se passe ? Et dans 95 à 97% des cas, le modèle va répondre en disant, il est probable que lors de la maintenance d'avant-hier dans la salle B12 de la vanne C3, quelque chose a été mal fermé ou mal réglé. Et c'est ça qui crée cette baisse-là. Et dans la plupart des cas, c'est vrai. Alors, ça permet de faire quoi ? Ça permet de gagner en fait beaucoup, beaucoup de temps et donc beaucoup d'argent, puisque le temps, c'est de l'argent dans le monde du nucléaire. En moyenne, on estime que chaque site surveillé, donc chaque site dupliqué, il y en a à peu près une centaine de centrales suivies à date par ce système métroscope, c'est 500 000 dollars de gains en moyenne par an. Donc, en fait, ça va très vite et donc ça permet pour un investissement très modique de quelques dizaines de milliers d'euros ou dollars par an d'avoir ce Julien Villeret: [3:59] gain de 500 000 dollars par centrale en moyenne et par an. Donc, c'est quelque chose de finalement qui paraît comme ça très simple, mais c'est très opérationnel, mais ça demande évidemment des développements informatiques très, très développés. Monde Numérique : [4:12] Oui, parce que naïvement, la question que je me pose, Julien, ça veut dire que le jumeau numérique, il est en permanence mis à jour en temps réel, en clonage de la vraie centrale, en fait. Julien Villeret: [4:24] En fait, le jumeau numérique, il recrée tout le système, tout l'appareillage finalement de la centrale et on peut injecter à n'importe quel moment dans le modèle les paramètres de la centrale en live. Et donc, c'est ça qui permet derrière de l'interroger, effectivement. Monde Numérique : [4:36] D'accord. Autre innovation en matière de nucléaire ? Julien Villeret: [4:40] Oui, alors un autre exemple, on a créé là aussi avec de l'IA une société qui s'appelle Ixir et cette société finalement, elle permet dans son modèle de faire remonter tout ce qui remonte du terrain. C'est-à-dire tous les agents de maintenance, les techniciens, etc. qui remontent des rapports de non-conformité, le fait que telle pièce, elle ne fonctionne plus ou elle a fonctionné moins longtemps que prévu ou que tel fournisseur a causé tel problème sur tel outil. Bref, toutes ces données-là, qui sont des données finalement très hétérogènes, pas toujours très structurées, c'est des choses qui remontent de façon en langage naturel, comme on dirait, c'est-à-dire finalement, ça remonte des gens qui écrivent dans des rapports. Et bien, en fait, c'est un modèle qui va prendre tout ce texte et qui va essayer d'aller chercher de l'intelligence dans toutes ses remontées. C'est-à-dire, par exemple, ça permet de se dire, tiens, quand même, dans toutes les centrales nucléaires qui sont suivies par cet outil, on voit que tel fournisseur ou telle pièce régulièrement posent très le problème. Et donc, ça permet finalement là aussi de faire de la maintenance préventive, c'est-à-dire d'aller anticiper les problèmes pour les régler avant qu'ils aient lieu. Et là aussi, c'est évidemment des économies très, très importantes qui arrivent. Julien Villeret: [5:48] Un autre exemple j'allais enchaîner parce que celui-là on en a déjà parlé mais je l'adore donc je ne peux pas m'empêcher d'en reparler c'est l'impression 3D métallique ah j'en étais sûr, j'en ai parlé j'ai serré sa bande mais j'ai envie d'y revenir ça c'est votre doudou c'est vraiment c'est vraiment un chouchou c'est Amix 3D une société une start-up néerlandaise dans laquelle on a on a investi alors ils sont capables d'imprimer des ponts il y a un pont aujourd'hui qui est imprimé et qui est installé dans le quartier rouge d'Amsterdam donc voilà. Julien Villeret: [6:17] Mètres de long sur six mètres de large et deux mètres de haut, cinq tonnes. Donc voilà, ils savent faire ça, cette société. Mais, et c'est là où ça nous intéresse, ils savent faire de l'impression 3D, y compris de pièces industrielles et y compris dans les industries les plus exigeantes, parce que le nucléaire, c'est l'industrie au monde la plus exigeante, surveillée, on imagine bien, par tout un tas d'autorités indépendantes. Et donc, il y a des travaux qui sont menés, en l'occurrence avec notre filiale Frabatome, sur de l'impression 3D de pièces pour le nucléaire. Ça veut dire quoi ? ce qui pouvait prendre six mois, j'y vais dire six mois, en tout cas plusieurs mois, à fondre, c'est-à-dire créer un moule, mettre le métal en fusion dedans, s'assurer que la pièce derrière est totalement propre, etc. Grâce à de l'impression 3D, on peut désormais sortir la pièce en quelques heures, voire quelques jours. 6 mois, quelques heures ou quelques jours on voit bien la différence là aussi d'efficacité et aussi le fait qu'on n'a pas besoin de créer de stock parce qu'évidemment quand il faut 6 mois pour fondre une pièce, on a tendance à en faire un peu plus à chaque fois en se disant tiens je vais avoir du stock pour en avoir pour mes besoins futurs, là non c'est à la demande, donc c'est évidemment là aussi une question d'efficacité et de coût absolument c'est absolument incroyable et on emmène toutes ces sociétés dont je parle là au WNE, justement, pour les donner à voir à tous les autres exploitants nucléaires dans le monde, parce qu'il faut savoir que le nucléaire dans le monde est en développement et est en redéveloppement, et qu'il y a aujourd'hui de très très nombreux pays, alors on le sait en Europe, mais bien au-delà de l'Europe. Julien Villeret: [7:45] La Chine, au Moyen-Orient, etc., qui sont en train de développer ou de redévelopper des centrales nucléaires et donc qui sont très demandeurs de ces solutions vraiment Julien Villeret: [7:53] les plus innovantes du nucléaire. Monde Numérique : [7:56] On sent que le nucléaire et a repris du poil de la bête, j'ai envie de dire, du fait notamment de l'intelligence artificielle, également en raison de la transition énergétique pour aller vers moins d'énergie polluante. C'est un nouvel âge pour le nucléaire ? Julien Villeret: [8:17] En tout cas, oui, je crois qu'on peut dire que c'est un redémarrage très, très fort, effectivement, drivé beaucoup par le réchauffement climatique. Il est clair que le fait d'avoir une énergie quasiment sans carbone, c'est évidemment quelque chose qui est très attractif pour tous les pays qui redéveloppent du nucléaire. Et quand je dis les pays, c'est les grands. C'est évidemment les États-Unis, la Chine. Mais en Europe, c'est énormément de pays. Le Royaume-Uni est très en pointe. La France, évidemment, est le plus gros, mais on a aussi la Suède, Julien Villeret: [8:46] on a aussi la Pologne, on a énormément de développement en la matière. Et puis, c'est très drivé aussi par le secteur privé et effectivement, les développements de l'IA et en particulier de l'IA générative, puisque tous les grands acteurs, là je dis bien tous les grands acteurs du numérique, donc là je cite Microsoft, Amazon. Julien Villeret: [9:06] Google et les autres, ont tous annoncé des projets de nucléaire directement liés à l'alimentation de leur data center. C'est-à-dire, dit autrement, au-delà des opérateurs comme EDF qui fournissent énormément d'électricité, ces grands du numérique ont aussi en projet de développer leurs propres réacteurs, soit en partenariat, soit en direct, pour pouvoir aller alimenter leur data center. Parce qu'évidemment, les data centers, enfin évidemment, je pense qu'en tout cas, les auditeurs de ce podcast sont bien au courant, Les data centers, et en particulier ceux qui utilisent les GPU utilisés pour entraîner de l'IA ou faire de l'inférence, consomment énormément d'électricité. Et donc, pour que cette électricité soit vertueuse, il faut qu'elle soit très bas carbone et qu'elle soit en permanence en fonctionnement. Puisque, évidemment, on pourrait se dire que tout ça pourrait être alimenté par des renouvelables. En fait, non, puisque les renouvelables, on le sait, sont intermittents. Donc, le nucléaire, c'est vraiment la solution parfaite pour permettre le développement de cette intelligence artificielle générative, on va dire généralisée, sans venir trop peser sur les ressources de la planète. Monde Numérique : [10:10] Mais en même temps... On évoquait récemment et notamment dans le monde numérique un rapport qui était un peu inquiétant en disant qu'on risquait quand même d'aller vers des pénuries d'électricité du fait de l'explosion de l'IA dans les années à venir. C'est vrai ou pas ? Julien Villeret: [10:30] Alors, évidemment, faire de la futurologie, c'est très difficile, donc je ne m'y risquerai pas. Si on regarde la plupart des rapports extrêmement sérieux, et on en a encore eu un d'ailleurs hier qui est tombé sur le sujet, on voit qu'effectivement, le driver de l'augmentation de la consommation électrique, c'est l'IA. Julien Villeret: [10:47] Un petit effet à ce stade mineur. En France, ça serait plus 1% de consommation liée à l'IA. À l'IA, plus 2, plus 3 aux États-Unis. Donc, on reste encore dans des choses assez maîtrisées. Pour tout le reste des usages, la mobilité électrique, l'électrification des process industriels, etc., on n'est pas aujourd'hui sur une consommation en augmentation. Alors pourquoi ? D'abord parce qu'on connaît quand même une période économiquement un peu difficile, et c'est vrai dans le monde entier, c'est pas en Chine, c'est pas aux Etats-Unis, c'est pas en Europe, mais aussi parce que, et ça c'est un phénomène dont parfois les études ne tiennent pas compte, c'est qu'on vit dans un monde d'efficacité énergétique, c'est-à-dire que oui, bien sûr, il y a de plus en plus de climatisation, Oui, bien sûr, il y a de plus en plus d'électrification des flottes de voitures, oui, etc. Mais en même temps, la technologie progresse et la technologie progresse toujours vers de l'optimisation de la consommation électrique. Donc en fait, on le voit bien chez nous en particulier, nos réfrigérateurs, nos laves-vaisselles, nos téléviseurs, etc. consomment beaucoup moins d'électricité. À usage équivalent qu'il y a dix ans. On le voit bien, les étiquettes énergie Julien Villeret: [11:52] en Europe ont même dû être refaites, puisqu'en fait, tous les appareils étaient A. Donc, à un moment, ça n'avait plus de sens. Donc, maintenant, je ne sais pas si vous avez remarqué, mais c'est A+, A++, A+++, parce qu'en fait. Julien Villeret: [12:02] L'efficacité énergétique générale est absolument, est un mouvement de fond absolument évident et qu'on connaît depuis maintenant des décennies. Donc, on a finalement à la fois ces nouveaux usages qui se développent et en même temps une efficacité énergétique qui continue de se développer également. Donc, cette tension fait qu'aujourd'hui, on est à peu près flat. En tout cas, il faut être très rassuré pour ce qui est de l'Europe et en particulier de la France. On est aujourd'hui plutôt en surproduction par rapport à la demande. Donc, on a aujourd'hui une électricité très, très abondante. C'est d'ailleurs pour ça qu'on voit, et particulièrement en France, et on est très heureux, beaucoup de projets de data centers qui sont annoncés ces derniers temps. Parce qu'en France, il y a beaucoup d'électricité, bas carbone, à un prix raisonnable qui est disponible. Donc, après, dire où on en sera dans 10 ans, dans 20 ans, dans 30 ans, on verra. Julien Villeret: [12:48] Objectivement, il y a assez peu de risques qu'au manque d'électricité dans le monde dans les prochaines décennies. Monde Numérique : [12:54] Eh bien, merci de nous rassurer, Julien Villeret, directeur de l'innovation d'EDF.
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