TikTok sera-t-il interdit ? Les critiques se multiplient contre le réseau social chinois.
Depuis son lancement en 2017, l'application vidéo-musicale TikTok est dans le collimateur des autorités pour plusieurs raisons. Les Etats-Unis lui reproche son assujettissement au pouvoir chinois. L'Europe y voit un outil dangereusement addictif pour la jeunesse.
- Fabrice Zerah, auteur du livre "Tech en toc", dénonce le côté abêtissant de l'application et plaide pour une interdiction pure et simple.
- Bernard Benhamou, de l'Observatoire de la Souveraineté, décrypte les mécanismes d'influence utilisés par le pouvoir chinois pour imposer son "agenda politique" via TikTok.
Guest:
[0:00] Attention ! Je viens de me faire voler mes 4 masses de cosmétiques par une enflanceuse. Ils autoroute autour de sa maison, mais ce qu'elle a fait pour se venger est incroyable. Coucou mes life, j'ai acheté plein de saucissons au marché, du coup je vais vous montrer.
Monde Numérique :
[0:16] Un flot ininterrompu de musique, de vidéos, de sketchs plus ou moins drôles, d'éructations diverses et variées, d'envolées complotistes, de challenges parfois dangereux, mais aussi de conseils de bricolage, de tutos beauté ou de bons mots d'hommes ou de femmes politiques. L'application TikTok est utilisée aujourd'hui par plus d'un milliard et demi de personnes à travers le monde, dont 22 millions en France. Malgré cela, ou à cause de ça, elle est critiquée depuis des années pour son côté addictif et ses liens avec le gouvernement chinois. Pour la première fois dans l'histoire du numérique, un réseau social pourrait bien être banni des pays occidentaux. Pourquoi ? C'est ce que nous allons voir dans cet épisode. Si vous passez par ici pour la première fois, je suis Jérôme Colombain, journaliste spécialiste des technologies. Dans cette série d'été du podcast Monde Numérique, on fait le point sur des sujets d'actualité brûlants et on en profite pour réécouter quelques-unes des meilleures interviews de ces dernières.
Guest:
[1:21] Je vais mourir, j'ai trouvé des photos de ma mère quand elle avait mon âge Il a pas tort, il a pas tort Ah merde, tu t'es fait balle le compte à 20K.
Monde Numérique :
[1:36] D'où vient TikTok ? De Chine, on l'a dit. Mais la version chinoise n'a rien à voir avec la version occidentale. En Chine, elle s'appelle Douyin. Elle a été lancée en 2016 par l'entreprise ByteDance, appartenant au milliardaire chinois du numérique Zhang Yiming. C'est un an plus tard, en 2017, que ByteDance lance TikTok, une version spéciale de cette application de divertissement destinée au monde occidental. Immédiatement, TikTok fusionne avec l'application musicale chinoise Musical.ly, ce qui permet aux abonnés d'accéder à un catalogue musical gigantesque sans problème de droit d'auteur. Cela va contribuer immédiatement à son succès. Sur le papier, Douyin et TikTok sont assez similaires, peuplées d'influenceurs en tout genre, mais techniquement elles fonctionnent sur des serveurs différents afin de respecter la réglementation chinoise. TikTok n'est pas accessible en Chine, de même que Douyin n'est pas utilisable en dehors de Chine. Et surtout, les deux applications ont des contenus très différents, Ceux de Douyin étant réputés plus qualitatifs et pédagogiques.
Monde Numérique :
[2:42] Le succès est donc rapide, mais après quelques années, c'est le début des ennuis. En 2020, Donald Trump, alors président des Etats-Unis, veut interdire TikTok. En 2023, l'application est bannie de la Commission et du Parlement européen. Idem au Canada et dans d'autres pays. En Afghanistan, au Pakistan ou en Jordanie, par exemple, l'appli est carrément interdite d'utilisation. Que reproche-t-on à TikTok ? Aux Etats-Unis, tout d'abord, on lui reproche d'espionner
Monde Numérique :
[3:09] les utilisateurs pour le compte de la Chine. En 2019, TikTok est condamné à une amende de 5,7 millions de dollars pour avoir collecté illégalement des données liées à des mineurs de moins de 13 ans. Vu d'Europe, on met ça sur le compte de la guerre économique entre les Etats-Unis et la Chine. On pense aussi à un mouvement de défense des géants américains du numérique contre ce concurrent chinois qui pourrait bien leur faire de l'ombre. Mais finalement, les Américains parviennent à convaincre de nombreux pays que les grandes oreilles de Pékin sont beaucoup trop à l'écoute.
Monde Numérique :
[3:45] TikTok met son nez dans tous les recoins de notre vie numérique. Au moment de l'installation, par exemple, sur Android, l'application demanderait pas moins de 76 autorisations. Certaines permettant même d'espionner ce qui est tapé au clavier. Du coup, si on y prend garde au moment où on installe et où on paramètre l'application, eh bien, celle-ci peut alors avaler sans vergogne numéro de téléphone, localisation, adresse IP des utilisateurs, etc.
Monde Numérique :
[4:12] En plus de cela, TikTok favoriserait fortement l'addiction et l'enfermement dans une bulle de filtre, notamment des plus jeunes utilisateurs. Grâce à son redoutable algorithme de recommandations et de ciblages, l'application dévore le temps de cerveau disponible des enfants, mais aussi de nombreux adultes. Quant au contenu consommé sur TikTok, forcément, il y a du bon et du moins bon. C'est le terrain d'expression de nombreux défis plus ou moins débiles de propagation de fausses informations, comme pas plus tard que cet été, la tendance anti-sunscreen qui incite par exemple à ne pas se mettre de la crème solaire parce que ça contiendrait des produits dangereux, au risque d'inciter des familles à se laisser brûler sur les plages. Il y a aussi des effets d'entraînement et d'accélération des incivilités, comme on l'a vu lors des émeutes récentes en région parisienne ou en Nouvelle-Calédonie. Dans son livre « Tech ou TOC ? », l'entrepreneur Fabrice Zera, interrogé en mai dernier dans Monde Numérique, plaide carrément pour une interdiction pure et simple de TikTok.
Guest:
[5:18] « TikTok, le risque, c'est surtout pour la jeunesse. Ça veut dire que c'est une techno qui est très addictive. C'est le 30 secondes avec un swipe et qui enferme les jeunes dans une opinion, dans une pensée. Et le chiffre qui m'a vraiment fait peur c'est 1 jeune sur 6 aujourd'hui pense que la terre est plate mais c'est 1 sur 3 qui regarde TikTok quotidiennement, donc là ce chiffre là est factuel et montre à quel point TikTok a une influence négative sur notre jeunesse et alors par contre ce qui est dingue c'est que c'est une technologie chinoise et les chinois n'utilisent pas TikTok tel quel, c'est à dire qu'ils ont une autre plateforme qui est du contenu beaucoup plus éducatif, d'une vingtaine de minutes et avec une coupure entre 22h et 6h du matin pour les jeunes, donc en fait ils appliquent quelque chose qu'ils ne souhaitent pas s'appliquer
Guest:
[6:15] eux-mêmes, donc ils ont fait rentrer un cheval de Troie donc bon les américains seront les premiers à interdire TikTok, et nous je pense qu'on va suivre derrière parce qu'on ne peut pas rester comme ça Vous, vous êtes favorable à une Une interdiction de TikTok. Une suppression de TikTok.
Guest:
[6:33] Une suppression de TikTok. Et là, on a réagi à temps. Ils avaient lancé TikTok Lite. Ils voulaient lancer TikTok Lite. Et c'était, vous gagnez de l'argent, plus vous passez du temps sur le réseau, plus vous gagnez d'argent. Donc imaginez le désastre que ça aurait été fait sur les jeunes. Notamment là, aujourd'hui, on essaye de les ralentir sur le temps devant les écrans. Donc ça a été des effets vraiment néfastes. Donc là, on constate les dégâts, mais il faut agir très vite. TikTok Lite a été suspendu, enfin aménagé. Il a été suspendu pour le moment. Pour l'instant, il est suspendu. Mais c'est vrai que l'Union européenne poursuit son combat contre le TikTok classique.
Guest:
[7:21] Et en même temps, on sait que ce n'est pas facile parce qu'on rentre dans une compétition économique internationale. Si l'Europe ou les États-Unis s'en prennent indirectement à la Chine via TikTok, est-ce qu'on ne risque pas des mesures économiques de rétorsion ? Si les Américains le font, pourquoi on ne pourrait pas le faire ? Ils ne l'ont pas encore fait. Ils sont sur le point 2. C'est sur le point 2, mais ils y vont pas à pas. Là, il y a une loi qui a été votée au Sénat. Ils y vont. Maintenant, est-ce que les Chinois se sont privés d'interdire toutes les technos américaines ? Ils ont suspendu toutes les technos américaines. Donc, pourquoi le fonds ? Le marché chinois est complètement fermé. Donc, nous, on l'a ouvert. Après, derrière, il y a un chantage. Mais derrière, si on rentre systématiquement dans ce chantage-là, on ne fera jamais rien. Donc, on subira systématiquement. Après, je sais que c'est facile de dire qu'on supprime TikTok. Ce n'est pas aussi simple que ça, bien sûr. Mais on est en train de vraiment avoir un impact très négatif sur notre jeunesse, et notre jeunesse c'est notre avenir.
Monde Numérique :
[8:39] Au-delà des conséquences sur la santé mentale des plus jeunes, le problème de TikTok, ce serait encore pire. Selon les chercheurs, la plateforme serait aujourd'hui utilisée délibérément
Monde Numérique :
[8:49] par le pouvoir chinois comme un outil d'influence sur les populations occidentales. Bernard Benhamou, secrétaire général de l'Institut de la Souveraineté, en parlait dans Monde Numérique en juin 2024.
Guest:
[9:01] C'est une ampleur qui s'était démultipliée ces derniers mois et ces dernières années. On s'est rendu compte que les États montaient en puissance. La Chine, qui auparavant se contentait de promouvoir son régime, maintenant interagit dans les élections en promouvant ses candidats. Et quand je dis ses candidats, aux États-Unis, par exemple, c'est Donald Trump. Aussi étrange que ça puisse paraître, on l'imaginait très hostile à la Chine, mais pour la Chine, c'est la bonne personne puisqu'elle introduirait une notion de chaos qui serait forcément favorable à la Chine. Donc ce que l'on voit, c'est qu'en fait les Russes, qui ont été l'origine de beaucoup d'actions ces dernières années, et qui le sont toujours, ont fait école. Et que beaucoup de pays empruntent au « manuel russe » d'opérations psychologiques et d'ingérence pour justement modifier les conditions du débat et faire en sorte effectivement que les parties les plus extrêmes s'affrontent.
Guest:
[9:53] Pourquoi TikTok plus que les autres ? Alors, TikTok, c'est parce qu'il y a un degré d'opacité qui est infiniment plus grand. C'est-à-dire que, contrairement au fil d'actu de Facebook ou le fil général de Twitter, on ne sait pas ce que les gens voient. C'est-à-dire qu'on ne peut pas reproduire. D'abord, on n'a pas accès aux API. Je vais parler un peu technique. On n'a pas accès aux données. On n'a pas accès aux API. On ne sait pas ce que les gens voient. Et prenez un exemple. Une personne, durant nos débats, avait eu l'occasion de dire dire, mais est-ce que ce sont les comptes les plus importants qui sont les plus dangereux ? Non. Parce que vu d'une personne comme TikTok, si elle voit un contenu qui peut effectivement être favorable aux idées ou à la doctrine qu'il souhaite mettre en avant, même un compte avec 10 abonnés pourrait être amplifié auprès de centaines de millions d'utilisateurs. Et ça de manière totalement opaque.
Guest:
[10:39] Sachant en plus que les Chinois ne s'en cachent pas, ils ne permettent pas la réciprocité. Rappelons quand même que Douyin, l'équivalent de TikTok en Chine, c'est de la pédagogie, des sciences écologiques, du management, ça n'a rien à voir avec le TikTok qu'on a ici. Oui, on a une espèce de sous-TikTok abétissant. Absolument, et d'une part, nos réseaux sociaux ne sont absolument pas accessibles en Chine. D'autre part, ils ont un agenda politique, parce que les gens finissent par oublier, pensant que les Chinois étaient juste l'usine à créer des produits pour l'Occident. Non, ils ont un agenda politique qu'ils défendent et que l'on voit maintenant au travers de leurs actions sur les campagnes politiques aux Etats-Unis et en Europe, et donc par définition, penser qu'ils ils mettront cet agenda politique derrière leur intérêt économique. Donc, par définition, pour les services chinois, ne pas utiliser les données de TikTok auprès d'un milliard et demi d'utilisateurs à des fins de propagande, d'espionnage, d'ingérants, serait une faute professionnelle. Donc, on voit bien, on a des problèmes avec les Américains, je suis le premier à le dire, et effectivement, à fond d'année, les dérives de Facebook, de Twitter et d'autres, mais elles sont d'une autre nature. Je pense qu'on ne peut pas renvoyer dos à dos la Chine et les États-Unis en matière de dangerosité politique.
Monde Numérique :
[11:52] Alors, face à ces accusations, comment réagit TikTok ? Eh bien, le réseau social tente de faire bonne figure, voire de sauver les meubles. La modération a récemment été renforcée. Par exemple, la chanson raciste « Je
Monde Numérique :
[12:05] partirai pas » a été interdite récemment. Mais le problème, c'est que TikTok reste incontournable, car son poids médiatique devient énorme. On attribue par exemple une part du succès du candidat du Rassemblement national, Jordan Bardella, auprès des jeunes, à ses vidéos TikTok, qui ont su donner de lui une image cool et détendue. TikTok, c'est un média incontournable pour tous les politiques, d'Emmanuel Macron à Joe Biden, en passant même par Donald Trump, qui, après avoir voulu faire interdire l'application, vient finalement d'y ouvrir un compte pour sa campagne. Les autres réseaux sociaux copient le modèle, comme X, YouTube, Instagram ou Snapchat. Le principe du flux de vidéos courtes en scroll infini, comme on dit, est devenue carrément la norme.
Monde Numérique :
[12:54] Aujourd'hui, TikTok paraît donc en sursis. Mais la situation est complexe, car elle s'inscrit dans un contexte géopolitique et économique entre la Chine et l'Occident. Qui de l'Europe ou des Etats-Unis sera le premier à interdire ou à transformer TikTok en profondeur ? Réponse sans doute dans les prochains mois.
Monde Numérique :
[13:20] Si cet épisode vous a plu, merci de laisser 5 étoiles et un commentaire sur votre plateforme d'écoute. Je vous souhaite un très bon été en compagnie du podcast Monde Numérique. La semaine prochaine, on revient sur un autre gros sujet d'actualité du moment, le casque de réalité mixte Vision Pro d'Apple.