Jérôme Colombain:
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0:01] Lorsque j'ai commencé à faire des chroniques sur l'actualité des technologies,
Jérôme Colombain:
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0:05] les sujets tournaient surtout autour des prouesses des machines et des logiciels. On s'extasiait sur la puissance croissante des ordinateurs, des smartphones, des consoles, le réalisme des jeux vidéo, la richesse des contenus sur Internet, etc.
Jérôme Colombain:
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0:18] Puis est venu le temps de la nette économie avec tous ces nouveaux services
Jérôme Colombain:
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0:22] en OU, Yahoo, Kelkoo, Wadadoo. Et on a commencé alors à s'intéresser à l'aspect économique de la tech, les startups, les levées de fonds, les faillites, etc.
Jérôme Colombain:
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0:30] Et depuis quelques années, on est entré dans une nouvelle ère,
Jérôme Colombain:
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0:33] celle de la tech politique. Aujourd'hui, impossible de s'intéresser à un sujet lié au numérique, à un problème soulevé par le numérique, sans évoquer son contexte et sa dimension politique. On parle de souveraineté, d'influence, de réglementation. C'est devenu encore plus flagrant avec Donald Trump aux Etats-Unis, à la fois lors de son premier et aujourd'hui de son deuxième mandat. On ne compte plus les affaires liées au numérique dans lesquelles les volets politiques et même géopolitiques sont indissociables. Alors on peut citer l'affaire TikTok, qui est en réalité un bras de fer entre les Etats-Unis et la Chine, les campagnes d'influence et de cyberguerre menées par la Russie et la Chine contre l'Europe et les Etats-Unis, la guéguerre des crypto-monnaies, la surveillance de masse, les intelligences artificielles accusées d'être trop de droite ou trop de gauche. Par exemple, Meta aurait récemment retouché son modèle d'IA Lama pour corriger
Jérôme Colombain:
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1:28] une orientation jugée trop à gauche, afin qu'il colle mieux à la tendance trumpienne du moment. Pareil pour la modération des réseaux sociaux. Bref, plus que jamais, la tech est politique, la tech est géopolitique, bref, la tech n'est pas neutre. Alors, ce n'est pas une découverte, vous allez me dire. Déjà dans les années 80, l'historien des technologies Melvin Kranzberg énonçait que la technologie n'est ni bonne, ni mauvaise, ni neutre. Il ne faut pas oublier la dernière partie de la phrase.
Jérôme Colombain:
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1:56] Ce thème de la neutralité, ou plutôt de la non-neutralité, des technologies a été étudié aussi longuement par le sociologue et théologien français Jacques Ellul. Quant à son aspect politique, il ressort aujourd'hui à chaque coin de rue, quasiment à chaque innovation ou à chaque usage des technologies. La tech est devenue un langage politique. Elle permet d'exercer une influence, de diffuser une idéologie, voire de mener une guerre sans armée, ou encore de virer des milliers de gens, comme le fait par exemple Elon Musk avec son Dodge à coups d'intelligence artificielle.
Jérôme Colombain:
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2:29] Alors tout cela n'est pas sans conséquences, évidemment, notamment au niveau du traitement médiatique de cette actualité. Dans sa newsletter épisodique, le journaliste français Frédéric Filloux expliquait récemment comment les médias spécialisés en technologie sont obligés de s'adapter. Et il raconte notamment comment le média américain spécialisé Wild recrute aujourd'hui des journalistes tech ayant un profil politique. des professionnels qui comprennent le fonctionnement des institutions, l'économie, les finances publiques, etc. Le suivi médiatique de l'administration Trump impose une nouvelle approche journalistique où la couverture technique et politique vont fusionner, explique Frédéric Filloux. En gros, il ne suffit plus d'être un cador en vitesse de microprocesseur, de savoir comment fonctionne une intelligence artificielle ou ce qu'est un protocole réseau pour informer convenablement le public sur ces thématiques.
Jérôme Colombain:
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3:22] Ça reste nécessaire, mais ce n'est pas suffisant. Il ne s'agit plus seulement d'informer sur les performances techniques, mais aussi de décrypter les enjeux de pouvoir, de souveraineté, de société qui se cachent derrière tout cela.
Jérôme Colombain:
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3:35] Alors comprendre la politique, ça ne veut pas dire être militant, ça veut dire simplement être documenté afin de pouvoir remettre la tech dans le contexte du monde réel. Le fait est qu'avec tout ça, on a perdu une forme d'insouciance et de légèreté. La tech n'est plus seulement synonyme d'un monde meilleur et de lendemain qui chante.
Jérôme Colombain:
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3:52] Là encore, pour certains, elle ne l'a jamais été, mais pour d'autres, au contraire, elle a quand même toujours été indissociable d'une forme d'optimisme et de progrès. Il faut donc aujourd'hui apprendre à considérer la tech pour ce qu'elle est vraiment, plus que jamais, c'est-à-dire à la fois le meilleur et le pire, et partout dans la société.