Comment l’ADN et la technologie permettent de suivre l’évolution de la biodiversité.
En partenariat avec EDF
Interview : Julien Villeret, directeur de l'innovation d'EDF
Monde Numérique : Quel est le rapport entre biodiversité, entreprises et technologie ?
Julien Villeret : La biodiversité est l'un des enjeux majeurs de notre époque, au même titre que le changement climatique. Or, il ne faut pas oublier que plus de 50 % du PIB mondial repose directement sur la nature et les services qu'elle fournit. Si nous ne préservons pas les écosystèmes, ce n'est pas seulement une question éthique, mais aussi une réalité économique. Chez EDF, nous avons pris des engagements forts pour réduire notre impact, préserver l'environnement et transformer nos processus pour une approche plus vertueuse.
Dans ce contexte, en quoi consiste la solution de la startup Nature Metrics dans laquelle EDF vient d’investir ?
Nature Metrics a développé une solution vraiment originale qui exploite l'ADN environnemental pour analyser la biodiversité. Concrètement, tous les êtres vivants laissent des fragments d'ADN dans leur environnement - que ce soit dans l'eau, le sol ou l'air. Et bien, en prélevant simplement des échantillons et en les analysant, on peut identifier les espèces présentes, y compris celles qui sont rares ou menacées. Cela permet d'avoir une vision précise et non invasive de la biodiversité d'un lieu. Cette technologie est révolutionnaire car elle remplace les méthodes traditionnelles d'observation, souvent longues et coûteuses.
Hippopotame en baignade Photo by Filiz Elaerts on Unsplash
Nous avons déjà utilisé cette technologie pour évaluer l'impact d'un parc éolien au Royaume-Uni. L'objectif est de mesurer la biodiversité avant, pendant et après l'installation afin d'adopter les meilleures pratiques pour la préservation des espèces locales. C'est une avancée considérable qui nous permet d'adopter des décisions éclairées basées sur des données scientifiques fiables.
Cette innovation produit-elle vraiment des résultats concrets ?
Oui, l'un des grands avantages de l'ADN environnemental est qu'il permet d'établir une cartographie précise de la biodiversité et de suivre son évolution dans le temps. Avec des analyses régulières, nous pouvons mesurer l'impact des activités humaines et ajuster nos actions pour favoriser la protection des écosystèmes. Par ailleurs, nous travaillons avec d'autres start-ups comme BeZero, qui intègre la biodiversité dans l'évaluation des crédits carbone. Nous croyons fermement que l'innovation et la technologie sont des alliées essentielles pour un développement économique responsable et durable.
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Julien Villeret :
[0:01] Il y a des fragments d'ADN qui sont présents dans des enchantillons environnementaux,
Julien Villeret :
[0:05] dans l'eau, dans le sol, dans l'air ou les sédiments.
Julien Villeret :
[0:07] Et c'est là où l'innovation arrive et est très intéressante au service de la biodiversité. C'est qu'on peut faire plein, plein de choses avec la technologie pour être beaucoup plus vertueux sur le sujet de la biodiversité.
Monde Numérique :
[0:26] Bonjour Julien Villeret.
Julien Villeret :
[0:27] Bonjour Jérôme.
Monde Numérique :
[0:28] Bien rentré de Las Vegas.
Julien Villeret :
[0:30] Et oui, avec un petit virus comme tout le monde, mais pas mal.
Monde Numérique :
[0:32] Évidemment. Directeur de l'innovation d'EDF, on se retrouve comme chaque mois en partenariat sur Monde Numérique. Et pour parler, Julien, cette fois-ci de biodiversité. Alors, ça interpelle comme thème parce que quel est le rapport entre la biodiversité et, on va dire, la vie des entreprises, notamment une entreprise comme EDF ?
Julien Villeret :
[0:54] Oui, et puis la technologie aussi, parce qu'évidemment, l'idée, c'est de parler aussi de technologie ensemble. Mais pour commencer, juste la biodiversité, c'est quoi ? C'est finalement peut-être l'enjeu avec le climat le plus crucial pour la planète. Ça regroupe pas mal de dimensions. La surexploitation des espèces animales et végétales. On sait très bien qu'on utilise pour nos besoins pas mal d'espèces animales et végétales. Il y a de l'extinction, de nombreuses espèces. On l'a connue avec l'exploitation du cuir, par exemple. C'est pour donner juste un exemple. Le changement climatique perturbe complètement les écosystèmes. La pollution atmosphérique, la pollution plastique détruit les habitats de beaucoup d'animaux. On sait qu'il y a des espèces exotiques aussi qui nous envahissent. On l'entend souvent dans les médias, dans le sud de la France, dans les îles. Il y a des menaces pour les espèces locales d'espèces qui n'étaient pas habituellement présentes sur ces territoires et qui viennent bouleverser ces équilibres écologiques. Bref, cette biodiversité, c'est-à-dire la diversité des espèces végétales et animales, c'est un des trois risques majeurs qui menacent la planète pour la prochaine décennie ça c'est pas moi qui le dis c'est le rapport qui s'appelle Global Risk Report de 2025 du World Economic Forum c'est les gens qui organisent le forum de Davos pour eux le problème de la perte de biodiversité et les fondements d'écosystèmes c'est un des trois risques majeurs pour la planète donc c'est vraiment quelque chose qui est alarmant.
Julien Villeret :
[2:12] Et qui est alarmant pour les entreprises. Si la température mondiale, juste pour donner quelques exemples, continue d'augmenter, on pense qu'il y a 4% des mammifères qui vont perdre la moitié de leur habitat avec 1 degré seulement d'augmentation. 2 degrés, et si vous suivez les différentes actualités autour du climat, même 2 degrés de réchauffement, c'est un minimum qu'on peut imaginer dans les prochaines décennies, c'est 8% et plus de 41% des habitats qui vont être détruits à 3 degrés. Les récifs coralliens, c'est 99% qui sont voués à disparaître si le réchauffement atteint 2 degrés. Donc, c'est évidemment très inquiétant. Et en fait, pour les entreprises, il faut savoir que plus de 50% du PIB mondial, 50%, la moitié du PIB de la planète, dépend directement de la nature. C'est-à-dire que les services que nous fournissent la nature, les matériaux, tout ce qu'on fait finalement avec la nature, c'est 50% de la valeur économique produite dans le monde. Donc, évidemment, si on détruit la biodiversité et les écosystèmes, ce n'est pas qu'un problème moral, bien que c'est aussi un problème économique absolument majeur pour les entreprises.
Monde Numérique :
[3:19] Et alors, vous avez donc décidé d'investir dans une startup qui agit spécifiquement sur ce secteur-là.
Julien Villeret :
[3:27] Exactement. Nous, en fait, on a des engagements très forts qui sont opposables. On a pris des engagements vraiment très forts. Alors, globalement, pour les résumer, il y a quatre axes. L'idée, c'est évidemment de réduire nos impacts et notre pression sur la biodiversité, préserver les environnements où on est, parce que quand on installe un barrage hydroélectrique, quand on installe une usine, etc., l'idée, c'est aussi de restaurer la nature. Ce n'est évidemment pas de l'abîmer.
Julien Villeret :
[3:54] Développer la connaissance sur ces sujets et puis transformer nos processus, nos façons de faire. Et c'est là où l'innovation arrive et est très intéressante au service de la biodiversité. c'est qu'on peut faire plein de choses avec la technologie pour être beaucoup plus vertueux sur le sujet de la biodiversité. D'abord, on peut observer et collecter des données.
Julien Villeret :
[4:14] Il y a des imageries satellites, il y a de la surveillance de drones, il y a de la bio-acoustique, c'est-à-dire qu'on détecte avec l'acoustique, donc avec les sons en fait, la présence d'espèces menacées, on détecte des migrations, etc. Puis on peut même aller plus loin et effectivement, on a fait un investissement avec notre fonds de capitaliste récemment dans une société qui fait de l'ADN environnemental, de l'IDNA, comme on dit en bon français, en anglais en l'occurrence.
Julien Villeret :
[4:39] Alors, c'est quoi ? C'est qu'en fait, il y a du matériel génétique, des fragments d'ADN. L'ADN, on sait bien que c'est la chaîne, finalement, qui code le vivant. Et donc, il y a des fragments d'ADN qui sont présents dans des enchantillons environnementaux, dans l'eau, dans le sol, dans l'air ou les sédiments. Pour le dire très simplement, un animal qui passe à côté d'une rivière ou sur un peu d'herbe, il laisse des poils, il laisse des fragments d'ADN, de la salive, différentes sécrétions, etc. Ça vient des cellules, des tissus corporels qui sont laissés. Et en fait, cet ADN environnemental permet de détecter la présence d'espèces rares, menacées, de façon totalement non-invasive et très efficace. Par exemple, avec ces technologies, on a trouvé des hippopotames pygmées au Liberia ou des crocodiles du Siam au Cambodge. Donc ça, c'est évidemment pour aller retrouver des espèces rares, menacées ou qu'on imaginait disparues, en fait. Et ça, c'est vraiment très simple comme technologie. Enfin, la technologie est très complexe, mais l'usage est très simple. On va prendre un fragment d'ADN. Et donc, prendre un fragment d'ADN, finalement, c'est comme, si vous les connaissez, ces tests pour les humains, où on crache dans un tube à essai et à partir de la salive, on peut récupérer des fragments d'ADN. Là, en fait, on va faire des prélèvements de brins d'herbe, d'un peu de terre, de l'eau, etc.
Monde Numérique :
[5:56] Ou comme sur une scène de crime.
Julien Villeret :
[5:58] Exactement comme sur une scène de crime. on va séquencer cet ADN, c'est-à-dire qu'on va le mettre dans une machine robotisée évidemment qui va le séquencer et derrière le comparer avec un catalogue de toutes les espèces connues avec un catalogue d'ADN. Et ça permet deux choses, ça permet comme je l'ai dit pour les hippopotames pygmées par exemple de dire eh bien là il y a telle espèce qui est présente, telles espèces au pluriel qui sont présentes, mais aussi ça permet si on veut faire des comparaisons de se dire à un an d'intervalle ou à deux ans d'intervalle la biodiversité a augmenté de temps ou a baissé de temps. Et donc ça, c'est évidemment quelque chose qui est un game changer pour utiliser là aussi un terme français. C'est qu'avant, c'était quoi ? C'était de l'observation. Il fallait avoir des gens avec des jumelles qui comptaient avec un petit carnet et un stylo. Je caricature, mais c'est pas loin de ça. Maintenant, avec des fragments d'ADN, on est capable de faire cette surveillance finalement de la biodiversité et donc d'agir aussi pour permettre de voir si ce que l'on fait a du sens et fonctionne et développe la biodiversité, mais aussi pour pouvoir avoir un état, j'allais dire à un instant T très précis de cette biodiversité.
Monde Numérique :
[7:04] Étonnant. Et alors, ça se présente comment concrètement sont des équipements spéciaux quand même qu'il faut laisser dans la jungle, dans la forêt ou bien il suffit d'aller sur place faire des prélèvements ?
Julien Villeret :
[7:15] Eh bien, même pas. Il suffit d'aller sur place, aller faire des prélèvements avec des petits tubes à essai et des petites bandelettes réactives. On met ça dans une enveloppe et on l'expédie tout simplement par courrier. Ça arrive dans un laboratoire qui est équipé de ces machines de séquençage et de cette base de données spécifique sur la biodiversité. Et vraiment, en quelques heures, les échantillons sont séquencés, comparés dans la base de données et ça donne un rapport. Donc, c'est vraiment quelque chose qui révolutionne, on peut le dire, la façon de mesurer la biodiversité et qui, on va dire, facilite finalement pour les entreprises cette conversion à la protection de la biodiversité, puisque, autant sur le climat, on en parle maintenant depuis 20, 25, 30 ans, depuis les premiers rapports à l'armement du GIEC, et donc beaucoup d'entreprises se sont préoccupées de développer des plans sur la protection du climat. Sur la biodiversité, beaucoup d'entreprises sont encore en train de s'interroger sur qu'est-ce que c'est, comment on le fait, etc. Donc c'est une des solutions qui nous permet d'aider finalement les entreprises.
Julien Villeret :
[8:15] Et donc EDF en premier lieu, puisqu'on se l'applique à nous-mêmes, on se l'est appliqué par exemple sur la mesure de la biodiversité d'un parc éolien au Royaume-Uni, ça nous permet, nous aussi, d'être plus performants sur ce sujet de protection de la biodiversité.
Monde Numérique :
[8:27] Alors, comment s'appelle cette entreprise ?
Julien Villeret :
[8:29] Alors, cette entreprise s'appelle Nature Metrics, en français avec l'accent, en anglais, c'est Nature Metrics. Donc, c'est vraiment des métriques de la nature, entre guillemets. Et donc, elle est vraiment évidemment disponible pour du B2B, comme on dit, pour les entreprises. En tant que particulier, on ne peut pas aller prendre un brin d'herbe dans son jardin pour aller faire mesurer la biodiversité de son champ ou de son jardin. Mais néanmoins, elle est vraiment aujourd'hui très active et utilisée par des centaines et des centaines de clients dans le monde entier.
Monde Numérique :
[8:59] Et on imagine qu'à terme, ça permettra d'avoir véritablement une cartographie et puis de surveiller des évolutions, mais à une très vaste échelle.
Julien Villeret :
[9:09] Exactement, et c'est vraiment toute la valeur de ce modèle. C'est que cette simplicité finalement et cette réduction très importante des coûts et d'accélération de la capacité à mesurer, fait qu'on peut le faire souvent et donc évidemment avoir une évolution suivie dans le temps et qu'on peut imaginer entre aujourd'hui et dans 5 ans, 10 ans, 20 ans, 30 ans. C'est une technologie qui sera là pour le très long terme, très clairement, puisqu'elle est vraiment révolutionnaire en termes de coût et d'efficacité. Et donc effectivement, ça permet de suivre ce sujet de façon très concrète. Pragmatique. Et là encore, c'est un enjeu parce que biodiversité, c'est un mot très large.
Monde Numérique :
[9:46] Très vague.
Julien Villeret :
[9:48] Si je vous demande de mesurer la biodiversité dans votre jardin, vous n'en êtes pas capable, moi non plus du reste. Donc là, on arrive à objectiver une notion qui est finalement assez floue et
Julien Villeret :
[9:58] c'est vraiment ça qui est très fort, finalement. Et je dois dire aussi qu'on a une deuxième de start-up dans laquelle on a déjà investi, dont on a déjà parlé d'ailleurs dans cette émission qui s'appelle BeZero, qui est une start-up qui mesure en fait la valeur des crédits carbone, ce qu'on appelle, qui sont liés évidemment à la question des émissions de CO2 et donc du réchauffement climatique. Et cette startup, elle, est en train de travailler à intégrer la biodiversité dans les évaluations des projets qui génèrent des crédits carbone. Donc dit autrement, aujourd'hui, elle évalue des projets qui génèrent des crédits carbone en disant que ces crédits sont de bonne qualité, donc finalement, ce projet est plutôt bon pour le climat ou en tout cas pas mauvais pour le climat. L'idée, c'est d'intégrer en plus cette notion de biodiversité pour aller encore un peu plus loin sur cette qualité, finalement, des projets. Parce que même si dans le monde politique dans lequel on vit aujourd'hui, on entend parfois des remises en cause de ces sujets-là, nous, on reste absolument convaincus qu'il faut continuer à la fois à faire du développement économique, mais du développement économique responsable. Et donc, c'est pour ça qu'on continue d'investir dans ce genre de technologie.
Monde Numérique :
[11:03] Voilà, l'ADN et le Big Data également, donc au service de la biodiversité. Merci beaucoup, Julien Villeret, directeur de l'innovation d'EDF.