Alors que l'intelligence artificielle s'impose peu à peu dans l'univers éducatif, la startup française Nolej propose de la création de cours assistée par IA.
Interview : Nejma Belkhdim, dirigeante de Nolej
L’IA à l’école, ce n’est plus de la science-fiction ! La startup Nolej, une “edtech” française, permet aux enseignants de transformer des ressources pédagogiques de toutes sortes (PDF, vidéos, podcasts, etc.) en supports interactifs pédagogiques. “Cela permet de créer des quiz, des flashcards ou des résumés en quelques minutes, explique Nejma Belkhdim, et ainsi de libérer du temps pour les enseignants qui peuvent se concentrer sur la scénarisation et la personnalisation pédagogique afin d'adapter des contenus aux besoins spécifiques de chaque élève”. Interview complète à écouter dans cet épisode de Monde Numérique.
Nejma Belkhdim:
[0:01] L'automatisation que permet l'IA permet de gagner du temps. Et ce gain de temps permet aussi de personnaliser les activités en fonction des besoins, mais aussi de scénariser.
Monde Numérique :
[0:13] Bonjour Nejma Belkhdim.
Nejma Belkhdim:
[0:15] Bonjour Jérôme.
Monde Numérique :
[0:16] Vous dirigez la startup Nolej. Ça s'écrit N-O-L-E-J. On comprend qu'il y a un jeu de mots entre Nolej en anglais.
Nejma Belkhdim:
[0:24] Absolument. Absolument.
Monde Numérique :
[0:26] C'est une start-up française spécialisée dans l'IA générative au service des enseignants. Vous êtes ce qu'on appelle une head tech, une start-up tech dédiée à l'éducation. Vous avez reçu plusieurs prix. Et alors, vous, vous utilisez l'IA, si j'ai bien compris, pour aider les enseignants à créer, à fabriquer leurs cours, c'est ça ?
Nejma Belkhdim:
[0:47] C'est exactement ça. Ce qu'on permet de faire très concrètement, c'est de transformer des ressources existantes. Donc là, on peut partir, par exemple, d'un PDF. On peut aussi partir d'une vidéo ou même d'un podcast. On pourrait prendre cette vidéo, par exemple, et se dire qu'on va transformer ça en quiz, en flashcard, en résumé. Une vidéo interactive. Donc, ce qu'on permet de faire, c'est d'accélérer la conception pédagogique pour les enseignants.
Monde Numérique :
[1:10] Quel type d'enseignant ? Ça s'adresse à quel professionnel ?
Nejma Belkhdim:
[1:13] Alors, aujourd'hui, on s'adresse à des enseignants qui sont au lycée, qui sont aussi au collège. On a aussi des enseignants de l'enseignement supérieur, des formateurs dans les centres de formation ou les business schools. Donc, c'est toute personne qui détient finalement une expertise. Et on va essayer de capturer cette expertise et la rendre engageante à travers des activités pédagogiques.
Monde Numérique :
[1:33] Donc, vraiment, vous essayez d'attraper cette révolution de l'intelligence artificielle et de l'appliquer à l'éducation. Parce qu'on sent bien, depuis que Tchadjipiti est arrivé, qu'il y a quelque chose à faire en matière d'éducation. Mais on sait aussi que les professionnels peuvent être un peu déroutés par rapport à tout ça.
Nejma Belkhdim:
[1:49] Absolument. Et puis, peut-être un élément de contexte qui est important, c'est qu'on a commencé chez Nolej à travailler sur de l'IA générative bien avant l'ouverture au grand public de ChatGPT. On a commencé il y a cinq ans et on avait développé nos propres modèles d'IA. Et à cette époque, c'était assez compliqué de développer ses propres modèles parce qu'il fallait des espèces de moteurs hyperpuissants pour atteindre une performance qui soit à la hauteur en termes de conception. Mais on a appris quelque chose d'essentiel à ce moment-là, C'est que quand on ne garde pas l'humain dans la boucle, c'est-à-dire que quand on est sur une automatisation qui est purement rattachée à l'IA, l'acceptation est compliquée. Et on a fait ce choix, justement, de se dire, bon, on va garder l'humain dans la boucle, on ne laisse pas l'IA gérer toute la conception. L'humain reste dans la boucle et c'est cet élément-là qui va permettre une acceptation, une adoption qui est très forte. Et ça veut dire quoi.
Monde Numérique :
[2:45] En fait, concrètement, laisser l'humain dans la boucle ?
Nejma Belkhdim:
[2:47] Alors, à l'époque, on avait une application et en fait, en partant d'un article, automatiquement, c'était je génère des activités et puis on avait un quiz et un résumé. Je ne pouvais pas, en tant qu'experte, corriger ce qu'avait généré l'IA. Aujourd'hui, je peux guider l'IA et je peux surtout absolument tout modifier et puis lui dire, je veux que tu me génères ce quiz-là pour des élèves en sixième et non pas pour les élèves allophones qui ne maîtrisent pas forcément correctement la langue française. Et on va pouvoir tout modifier. Et cet élément de contrôle et d'autonomie, c'est ce qui a permis d'amener cette acceptation.
Monde Numérique :
[3:25] On imagine que les profs ne veulent pas se sentir totalement dépossédés.
Nejma Belkhdim:
[3:30] Exactement, otages de l'IA, c'est ce qu'on nous dit. C'est ça qui, finalement, ils ne veulent pas d'une solution parfaite. Ils veulent d'une solution qui les inspire, qui amène de la créativité et qui les soutienne. Et il faut leur laisser cet espace, en fait, pour apporter leurs pattes.
Monde Numérique :
[3:45] Alors justement, qu'est-ce que ça apporte concrètement ? Qu'est-ce que ça apporte aux cours et surtout aux destinataires, aux apprenants, aux élèves, etc.
Nejma Belkhdim:
[3:54] Alors, aux élèves, on utilise en fait un format qui a été testé dans la recherche et on amène énormément de rétention. Donc, on a des études qui prouvent qu'on amène plus de 80% de rétention. Donc, concrètement, les élèves mémorisent beaucoup mieux. On a mené des tests également, ils ont de meilleures notes, et en fait, les élèves se mettent dans un but de performance. On aimerait qu'ils soient dans un but d'apprentissage, mais la réalité, c'est qu'ils veulent une super note à la fin de l'année. Et pouvoir se tester, être dans cet apprentissage formatif, c'est ce que ça leur permet, et ça permet de l'engagement. Donc, ces activités-là, elles sont hyper puissantes pour ces élèves qui, aussi, souvent, on n'est pas sur des classes qui sont homogènes. Donc, j'ai des élèves qui sont plus avancés que d'autres, Il faut pouvoir embarquer tout le monde.
Nejma Belkhdim:
[4:40] L'automatisation que permet l'IA permet de gagner du temps. Et ce gain de temps permet aussi de personnaliser les activités en fonction des besoins, mais aussi de scénariser. Et cette scénarisation pédagogique, elle est essentielle.
Monde Numérique :
[4:53] Par exemple, un prof de maths dans un collège, quel intérêt il aurait à utiliser une solution comme ça ?
Nejma Belkhdim:
[4:59] Un professeur de maths, on pourrait se dire, je reprends l'exemple des groupes, des classes avec des niveaux hétérogènes. Il va pouvoir sélectionner un cours pour des élèves un peu plus avancés et générer des activités en l'espace de dix minutes, partager ces activités-là à ce groupe d'élèves qui est plus avancé et prendre un autre contenu, adapter au niveau des élèves qui sont plus en difficulté et prendre peut-être plus le temps et leur partager ces activités-là. Donc ça va lui permettre d'anticiper, l'anticipation est extrêmement importante, de pouvoir planifier et surtout de mettre en place de façon très concrète de la différenciation pédagogique en dehors de la classe, mais aussi en classe. Et puis, ce qu'on a aussi, c'est un outil IA qui est digital, mais on permet d'imprimer, tout simplement. Donc, on a des enseignants qui impriment les flashcards et qui mettent en place des ateliers entre pairs en classe et donc, ils s'interrogent comme ça avec les flashcards. Ils jouent ensemble et ça permet de créer une bonne dynamique de travail avec de l'apprentissage entre pairs. Donc, on n'est pas sur du numérique à tout prix, absolument, absolument pas. Et c'est ça aussi qui embarque les enseignants dans l'éducation.
Monde Numérique :
[6:13] En fait, c'est pas tellement l'enseignant qui est concurrencé, c'est plutôt le manuel scolaire, parce que c'est un outil qui réinvente le manuel scolaire.
Nejma Belkhdim:
[6:21] C'est juste, c'est juste.
Monde Numérique :
[6:22] Ça permet de créer des exercices, de créer, vous l'avez dit, des quiz, des choses comme ça, etc.
Nejma Belkhdim:
[6:28] Oui, et puis on a un positionnement qui est complètement différent. Jusqu'à présent, quand on parle d'adaptive learning, c'est l'IA qui fait l'adaptive learning, c'est l'IA qui décide, OK, c'est cet exercice maintenant à cet élève. Et puis, avec Nolej , on se dit, l'enseignant connaît ses élèves et c'est lui qui va adapter et qui va mettre en place cet adaptive learning. Et c'est vrai que là, pour le coup, l'enseignant n'est pas du tout concurrencé par l'IA, contrairement à ce qu'on pourrait croire.
Monde Numérique :
[6:57] Vous avez mesuré les bénéfices d'une telle technologie ?
Nejma Belkhdim:
[7:01] On mène des travaux avec l'université paris-dentaire. Je viens du monde de la recherche. J'ai commencé un projet de thèse que j'ai arrêté pour développer nos lèges. Mais je continue la recherche. Et ce qu'on voit, c'est qu'il y a une satisfaction améliorée grâce aux activités générées. Mais surtout, il y a aussi de la confiance. Et ça, on néglige souvent le sentiment de confiance et le sentiment d'efficacité, tant pour les élèves que pour les enseignants. Les enseignants sont en surcharge. Ils ont besoin aussi de retrouver le sens dans leur métier, de retrouver cette belle relation qu'ils avaient avec leurs élèves. Et avoir des élèves qui vous disent « on a envie encore », ça, je cite, ça leur apporte beaucoup de soutien et beaucoup, j'ai envie de dire de joie, mais c'est réellement ça. Ils sont excités, ils se disent « ah ben c'est chouette, on est en train de refaire quelque chose de sympa, on peut faire encore des choses chouettes aujourd'hui en classe ».
Monde Numérique :
[7:56] Ça permet également de gagner du temps, aussi bien sur la préparation des cours que sur l'apprentissage lui-même ?
Nejma Belkhdim:
[8:02] Absolument. On a mené cette enquête auprès des... Donc, on a fait une expérimentation au niveau de la région Île-de-France. On a déployé la solution auprès de tous les lycées et on a mené une enquête. Et en moyenne, les enseignants, lorsque les utilisent des Nolej, pour un contenu transformé, ils estiment gagner en moyenne 12 heures par semaine, ce qui est énorme. Et ce gain de temps il l'utilise pour de la scénarisation, et de la différenciation pédagogique.
Monde Numérique :
[8:31] Alors là, on parlait des élèves, du secondaire, etc. Mais votre solution, elle s'adresse aussi à l'enseignement supérieur et même à la formation professionnelle. Qu'est-ce que ça peut apporter également à cette partie-là du marché ?
Nejma Belkhdim:
[8:48] Pour cette partie-là du marché, il y a un enjeu de digitalisation qui a débuté avec le Covid. Et maintenant, ils doivent transformer les investissements faits. Et puis, il y a aussi des enjeux de souveraineté. Donc, on travaille par exemple avec l'Université de Rennes. Disons, beaucoup de papiers de recherche, ils veulent protéger leurs données. Et il faut pouvoir leur proposer une IA générative qui respecte aussi la sécurité de ces données. Et donc, on a développé une architecture dite agnostique. Et donc, on va pouvoir pluguer les propres modèles développés par les universités elles-mêmes. Ça leur permettra d'innover, d'avancer dans leur innovation sans mettre à risque leur contenu. Donc ça, c'est pour les universités. Et puis pour les business schools, c'est pareil. Ils ont des élèves venus du monde entier, des élèves à Saquimpour, d'autres aux États-Unis, d'autres en région Latam. Et ils ont besoin de les mettre au même niveau. Et accélérer la digitalisation, c'est essentiel pour eux.
Monde Numérique :
[9:49] Nejma Belkhdim, quand on parle d'IA générative, on sait qu'il y a un gros problème, c'est les hallucinations, les erreurs, il y a un pourcentage d'erreurs qui est encore significatif. Comment est-ce que vous contournez ce problème ? Est-ce qu'un cours préparé avec de l'IA générative ne risque pas de contenir des erreurs ?
Nejma Belkhdim:
[10:09] Cette problématique-là, on l'a adressée dans l'ADN même du produit. C'est pour ça qu'on commence toujours par une source. Sur nos lèges, on ne peut pas arriver comme sur TchadGPT et demander à l'IA de générer quelque chose. Ce n'est pas possible. On aura toujours cette source et on force l'IA à générer des activités à partir de cette source. Et c'est comme ça qu'on évite tous ces phénomènes d'hallucination. Et on a toujours gardé, on nous a demandé d'ouvrir les wagons et puis d'avoir cette page blanche dans laquelle on pourrait demander à l'IA. Et pour l'instant, on ne l'a pas fait. Ce qu'on a fait, par contre, c'est... Maintenant, c'est intégrer le multidocument. Donc, plutôt que de partir d'une ressource, on va pouvoir partir de cinq vidéos, de trois podcasts et de cinq documents et de donner des objectifs pédagogiques. Et toujours l'humain dans la boucle. C'est là encore l'essentiel. Le plus important, c'est garder l'utilisateur dans la boucle qui va pouvoir corriger et guider l'IA. C'est comme ça qu'on élimine ses erreurs.
Monde Numérique :
[11:07] Qu'est-ce qui empêcherait un collégien, un apprenant quelconque, de fabriquer lui-même ses propres cours sans passer par un prof ?
Nejma Belkhdim:
[11:16] Il pourrait aller, il pourrait se connecter, se créer un compte sur Nolej et tester la solution.
Monde Numérique :
[11:23] On va voir qu'il s'ennuierait peut-être un peu, mais...
Nejma Belkhdim:
[11:26] Faudrait que... Vous savez quoi ? Faudrait que je me pose... Faudrait que je regarde un petit peu dans les connexions si on n'a pas des petits malins qui ont essayé de se créer un compte, c'est possible. C'est possible. Pour l'instant, on n'en a pas vu, mais je ne creuserai le sujet.
Monde Numérique :
[11:39] Encore une question. Vous êtes sur un marché qui est quand même assez concurrentiel. Je l'ai dit, les head tech, il y a beaucoup d'entreprises, comme la vôtre, ou en tout cas sur ce secteur. C'est une grosse effervescence.
Monde Numérique :
[11:51] Où est-ce qu'on en est aujourd'hui ? On est encore dans les espoirs, les promesses, ou on est dans les... Ça y est, on est arrivé à une certaine forme de maturité, d'après vous ?
Nejma Belkhdim:
[12:02] Alors, il y a une maturité technologique qui est là et qui existe. Je dirais que l'enjeu, maintenant, c'est de pouvoir structurer cette maturité et s'assurer qu'on apporte toujours de la valeur et limiter les dérives, les mésusages. Et donc ça, c'est quelque chose que chez nous, on intègre directement dans notre produit, mais c'est un sujet que toutes les techs qui utilisent de l'IA générative adressent parce que c'est essentiel. Donc on utilise des modèles souverains, on teste Mistral, par exemple, on bataille pour avoir nos serveurs en France, Et tous ces sujets-là, on les adresse avec les acteurs aussi de l'enseignement, que ce soit dans le supérieur ou dans le SCO, en direct. Donc, on co-construit ensemble pour anticiper des limites réglementaires qui pourraient arriver ou des dérives futures. C'est ça l'enjeu aujourd'hui avec l'IA, finalement.
Monde Numérique :
[12:56] Merci beaucoup, Nejma Belkhdim, directrice, CEO de Nolej, qui s'écrit pas du tout comme on le croit, puis ça s'écrit N-O-L-E-J. C'est ça.
Nejma Belkhdim:
[13:06] Merci beaucoup, Jérôme.