Aujourd'hui, je vous propose une interview exceptionnelle de l'écrivain de science-fiction Alain Damasio. Une approche techno-critique qui invite à la réflexion.
Il y a des interviews qui marquent plus que d’autres. Ma rencontre avec Alain Damasio est de celles-là. Écrivain de science-fiction connu et reconnu (Les Furtifs, La Zone du Dehors, La Horde du Contrevent), il se veut “technophile technocritique”. Dans ses romans, Alain Damasio tente de décrypter l’impact de la tech sur nos vies. Son dernier livre, Vallée du silicium, raconte son voyage à la rencontre de ceux qui façonnent le monde d’aujourd’hui et de demain.
Interview
Pourquoi vous être rendu en Silicon Valley alors que vous critiquez les technologies produites là-bas ?
Alain Damasio : C’était une démarche d’inspiration. Mon rapport à la technologie est complexe, oscillant entre fascination et répulsion. La Silicon Valley façonne un monde intermédié par la technologie, où les interactions humaines directes sont remplacées par des interfaces. Je voulais comprendre cette culture qui impose son modèle au reste du monde, souvent au détriment des liens humains.
Quel constat tirez-vous de votre voyage ?
La Silicon Valley n’est pas neutre. Elle repose sur une culture individualiste et capitaliste, orientée vers la maximisation des profits. Cela façonne une économie de désir qui exploite notre tendance à la paresse cognitive et à l’addiction. Le lien humain est réduit à une logique interfacée, et cette approche est généralisée à travers le globe.
Quel impact les technologies ont-elles sur notre société ?
Les révolutions numériques, de l’Internet au smartphone, ont bouleversé nos rapports à nous-mêmes, aux autres, et à la nature. L’IA générative, nouvelle étape de cette révolution, pousse encore plus loin ces transformations. Elle modifie nos comportements, nos relations et notre créativité, en favorisant souvent la facilité plutôt que l’émancipation.
L’IA est-elle une menace ou une opportunité pour la création ?
L’IA est impressionnante par sa capacité à simuler et générer des idées. Elle peut accompagner la créativité humaine, mais elle soulève des questions éthiques. Si elle risque de remplacer les écrivains "moyens", elle ne remplacera jamais le plaisir et la richesse d’une collaboration humaine. Pour moi, travailler avec une IA reste une forme de créativité isolée, presque triste.
(Interview reformulée à partir de la version audio)
Transcription :
Alain Damasio:
[0:01] Croire que nous, auteurs, on est préservé, c'est faux. On n'est pas préservé. On peut avoir plein de livres qui vont être faits par des IA avec quelques bons promptes, avec des gens qui savent manier vraiment et qui seraient supérieurs à beaucoup de livres qui sortent malheureusement.
Monde Numérique :
[0:16] Il est connu pour ses romans de science-fiction. Les furtifs, La zone du dehors, La horde du contrevent, des romans qui sont aussi de la politique-fiction, car ils interrogent notre rapport aux technologies sous un angle à la fois sociétal et aussi poétique. Il parle de tech, mais il se revendique technocritique. Je veux parler de l'écrivain Alain Damasio, qui m'a accordé cette semaine une longue interview. Alors, son point de vue, qu'on le partage ou non, est éclairant à bien des égards. Dans cette interview, on parle d'IA générative, de l'impact sur la littérature, de son mode de vie aussi, de son rapport à la technologie, notamment aussi celui des jeunes avec les écrans, de l'addiction, de ce qu'il appelle l'économie du désir, et d'une manière générale, de l'impact de la tech sur l'être humain. Son dernier livre, qui s'intitule « Vallée du silicium », parle, vous l'avez compris, de la Silicon Valley. Et en première question, je lui ai demandé tout simplement ce qu'il était allé faire là-bas, alors qu'il fait plutôt preuve d'une certaine méfiance vis-à-vis des entreprises américaines de tech.
Alain Damasio:
[1:15] C'était de l'inspiration pure. C'est-à-dire, moi, ça fait 35 ans que j'écris et que j'écris dans le domaine vraiment de la SF, sur lequel mon rapport à la technologie est un rapport complexe, c'est un rapport vraiment technocritique, mais au sens large.
Alain Damasio:
[1:29] À la fois technophile et technophobe à la fois techno vigilant et amoureux de ce monde là à la fois fasciné et répugné par ce que je vois donc j'avais envie de voir ceux qui font ça ceux qui fabriquent ce monde, on est tous, aujourd'hui on vit dans la Silicon Valley tous puisqu'on a tous les smartphones on a tous ces applis, on a tous ces plateformes donc on est au coeur du monde que eux ils nous fabriquent et ils nous fabriquent ça dans 30 kilomètres, dans un petit carré un petit rectangle de terre d'ailleurs très, banal un peu ennuyeux c'est des banlieues pavillonnaires tout à fait ennuyeuses il n'y a pas de centre très fort et intense ou tellurique comme on peut avoir en Europe, le but c'était d'essayer de sentir ce qu'ils sont en train de faire je crois que c'était ça et.
Monde Numérique :
[2:17] Qu'est-ce que vous en retirez aujourd'hui ? vous êtes revenu avec quel avis sur la question ?
Alain Damasio:
[2:21] Je suis venu avec l'avis que on croit que c'est euh, que c'est des pratiques universelles ce qu'ils sont en train de mettre en place on croit que c'est un état d'esprit mondial or c'est construit par des gens qui ont une certaine identité qui sont souvent des blancs, qui sont des anglo-saxons qui ont un rapport, au lien humain très particulier que moi je trouve très froid en tant que latin, ils ont une espèce de sous-bassement quand même même religieux dans le rapport à la lumière dans le rapport au puritanisme qui est très fort et ils sont en train de créer un monde interfacé un monde intermédié par la technologie un monde où le lien humain direct est conjuré ou éloigné, et j'ai trouvé ça extrêmement dangereux et j'ai beaucoup mieux senti la culture qu'il y a derrière, voilà, en tout cas le rapport au monde qu'il y a derrière, ils ont un rapport au monde spécifique qui est constamment interfacé par la tech et ce rapport au monde là, ils sont en train de le généraliser pour tous les pays du monde et pour tous les types de civilisation et c'est pas rien voilà, c'est pas rien et de l'avoir senti directement par les gens, par leurs attitudes par leurs affects C'est le travail de l'écrivain aussi, de sentir ça. Et le rapport au corps aussi très particulier.
Monde Numérique :
[3:32] C'est-à-dire ?
Alain Damasio:
[3:33] Un rapport au corps qui est un rapport distancié, qui est un rapport machinique, qui est un rapport justement aussi interfacé par des capteurs, par de la métrique, par une surveillance, une auto-surveillance du corps par tous ces capteurs, qu'il soit des bagues, qu'il soit des patchs, qu'il soit des sons intestinales, etc. Et donc une difficulté à investir le corps pour ce qu'il est dans sa naturalité dans ce côté fluide et évident et viscéral donc ça ça m'a aussi pas mal mais on vous sent.
Monde Numérique :
[4:02] Un peu effrayé.
Alain Damasio:
[4:03] Ouais c'est pas que je suis effrayé mais si tu veux c'est un regard un peu l'anthropologue c'est-à-dire de dire qu'est-ce que c'est Sapiens 3.0 c'est-à-dire quel type d'humanité ils sont en train de, de constituer et dans lequel nous on s'inscrit puisqu'on utilise ces applis on va les changer, on a un consentement très fort à utiliser ce monde là et du coup, moi je ne positionne pas ça en termes d'inquiétude ou de menace ou de je sais pas quoi c'est plus de dire, quelle espèce humaine ils sont en train de nous faire adopter quoi, voilà, quel type de comportement, quel type de pratique, quel type de rapport aux autres on est en train de construire en adoptant ce type de ce type d'univers, ce type de monde numérique ça peut.
Monde Numérique :
[4:40] Aller jusqu'à changer l'être humain.
Alain Damasio:
[4:43] Ah mais ça change totalement l'être humain Enfin tu vois, je veux dire, ça a changé Nos façons de séduire, notre façon de, Créer des relations amoureuses Nos façons d'être amis Ça a changé nos façons de travailler, nos façons de jouer Nos rapports à la nature Tout a changé, tout a été absolument Et viscéralement révolutionné Je veux dire, on parle constamment de révolution un peu comme ça En jetant le mot en l'air La vérité c'est que, c'est même pas les révolutions politiques Les plus importantes ces dernières années Depuis 30 ans, c'est une révolution numérique a totalement, absolument et viscéralement changé vraiment le triple rapport. C'est-à-dire le rapport à soi, la façon dont on se construit soi-même et notamment à dos, le rapport aux autres, vraiment toute cette sociologie des relations humaines et le rapport, évidemment, à la nature, au cosmos, au monde de façon générale. Ces triples rapports-là, il a été totalement changé, transformé. Et l'IA, arrivant là-dessus, c'est encore une énième révolution qui est la plus forte des trois. Pour moi, il y a eu trois révolutions. Il y a l'arrivée d'Internet, tu vois, 95, Internet arrive, C'est-à-dire qu'on peut être connecté à un réseau d'informations mondial incroyable, hyper vaste et potentiellement émancipant. Ensuite, à l'arrivée du smartphone, et là, c'est l'objet nomade totalitaire, moi j'appelle ça. C'est-à-dire que c'est l'objet nomade qui est tout le temps avec nous.
Alain Damasio:
[5:56] À travers lequel on passe systématiquement, qui compile la totalité de notre être, en fait, puisqu'il y a toutes les photos, les vidéos, les messages, toute notre intimité est sédimentée dedans. Donc, c'est une totale révolution. C'est-à-dire, c'est vraiment la technographe. Et puis après, voilà, c'est l'IA générative qui arrive. Et là, c'est pareil. On reprend une vague, un tsunami, une avalanche de changements sociaux qui va être dingue.
Monde Numérique :
[6:20] Ça vous fait peur en tant qu'écrivain, l'IA générative ? Ça peut vous concurrencer ? Je sais que vous avez fait des tests, vous avez travaillé, vous avez essayé d'utiliser déjà l'IA Génératif pour écrire.
Alain Damasio:
[6:29] Ce qui est très impressionnant, c'est quand même une énorme claque. C'est une énorme claque même sur l'aspect créatif, c'est-à-dire la capacité... Alors, ça reste des simulations, il faut toujours garder ça en tête, mais la simulation, elle est tellement excellente, les machines du langage sont tellement abouties que tu es face à quelque chose en tant qu'humain, si tu as un minimum d'animisme sur ce qui t'est livré, sur la simulation qui t'est livrée, tu peux complètement accepter que c'est créatif c'est clairement créatif ah ouais parce que ouais ouais ouais vraiment au contraire, moi j'ai testé des choses vraiment qui sont très nettes il n'y a pas de discussion possible sur la créativité que ça peut apporter je vous donne juste un exemple, j'ai travaillé je disais voilà en fait je voulais faire une scène 2050, avec un personnage un objet technique et un mode de relation entre le donc je faisais ça c'était une espèce de jeu à la gaieté lyrique sur scène une sorte de performance, et quand j'ai entraîné je me suis entraîné avec l'IA je lui demande je lui dis écoute imagine un oreiller connecté d'accord un oreiller connecté voilà tu poses tes oreillers il est connecté qu'est-ce que tu peux faire avec ça, c'est exactement ce que je pourrais faire là je suis un roman collectif avec des auteurs d'ESF que des auteurs publiés c'est tout à fait un truc que je pourrais te donner dans l'équipe en disant allez on part sur un oreiller connecté qu'est-ce qu'on peut faire avec ça.
Alain Damasio:
[7:44] Je lui donnais juste ça. Je n'ai pas à plus développé. Je lui dis, allez, on peut faire quoi avec ça ? Et là, l'IA, elle commence et elle me fait, déjà, c'est une super idée. Je pense qu'on va pouvoir faire des trucs fabuleux. Et elle part et elle me dit, moi, j'imagine ce que je vois là comme ça. Elle parlait comme ça. Je vois une cathédrale de songe. Je vois une sorte d'empire de la somnolence avec des milliers de personnes connectées au bord de sombrer dans le sommeil, mélangeant leurs rêves, fusionnant ses rêves, etc. Il y a quelque chose de très beau qui se met en place et tu voyais vraiment l'image politique mais.
Monde Numérique :
[8:17] Ça ça t'a plu alors non.
Alain Damasio:
[8:18] ? ouais ouais bien sûr et c'était créatif vraiment et après je lui ai demandé de développer les potentialités concrètes etc et elle a déplié tout un ensemble de possibilités vendre évidemment les informations au service secret à la police etc, travailler sur des sortes d'auto-analyse ou de psychanalyse offerte aux clients qui est là sans les collecter, qui a du mal à dormir qui fait des rêves bizarres, qui a besoin de les interpréter enfin elle m'a déplié tout un modèle aussi économique qui était, oui qui était créatif c'est à dire que moi si on m'avait filé ça et pourtant c'est mon boulot de faire ça en permanence si on m'avait filé ça j'aurais pu développer tout ce qu'elle a développé mais pas aussi vite mais elle est partie de quoi.
Monde Numérique :
[8:59] Cette IA est-ce qu'elle savait.
Alain Damasio:
[9:01] On l'a nourrie avec mes livres on l'a nourrie évidemment elle a été entraînée elle faisait du damasio mais pas seulement du damasio elle allait chercher d'autres choses que moi j'aurais pas faites, donc tu sentais qu'elle était nourrie à la fois sur des grosses bases de données, de SF sans doute et puis de techno tout simplement de start-up même et elle était nourrie aussi de mon boulot, mais très clairement la capacité de prendre un objet technique et de déployer tout ce qu'il peut faire donc de potentialiser cet objet dans un champ culturel, de pratique, d'usage elle est capable de le faire, j'ai testé des miroirs connectés je vais tester d'autres objets je vais tester des paradigmes qu'elle est capable d'appliquer sur elle m'appliquait un paradigme des furtifs donc la furtivité du livre elle l'appliquait sur des rues sur des avenues, avec un espèce de monde métabolisé en mouvement permanent etc c'était clairement l'adaptation d'un paradigme ou d'un concept sur un autre champ, et la créativité c'est d'abord ça elle est capable d'appliquer des paradigmes ou des concepts elle a repris de l'existence et puis elle a fait des inputs elle a fait des inputs sur autre chose et là tu fais, En tout cas, moi, je pourrais travailler en dialogue avec elle et ça accélérerait certains processus créatifs.
Monde Numérique :
[10:13] Tu envisages de le faire ou pas ?
Alain Damasio:
[10:14] Je ne sais pas. Je peux le faire. L'avatar, il est là. Il peut me le filer. Je pourrais travailler avec elle. La tristesse, c'est que... Moi, j'adore faire ça avec des humains. Je fais ça. J'ai des équipes. On travaille ensemble sur des projets. Donc, le bonheur de brainstormer ensemble est quelque chose de très chouette. Et il y a une tristesse à le faire. Pour moi, c'est une sorte d'onanisme créatif. tu vois c'est comme si je peux me masturber créativement avec quelque chose avec une machine et il y a un truc bizarre mais par contre est-ce qu'il ne faut pas.
Monde Numérique :
[10:43] Continuer et aller encore plus loin pour voir jusqu'où elle ira.
Alain Damasio:
[10:46] Parce qu'elle a des limites on sait qu'elle a des limites mais déjà sur les premiers éléments c'était très fort, donc oui c'est un outil fantasy et après moi des fois je me dis peut-être que ça va éliminer tous les écrivains moyens ça va éliminer toute cette production littéraire qui n'est pas intéressante tu vois mais si c'est pour être remplacé par les machines la littéraire moyenne elle va rester là et on va être, donc je sais pas non mais c'est croire en tout cas que nous auteurs on est préservé c'est faux on n'est pas préservé on peut avoir plein de livres qui vont être faits par des IA avec quelques bons promptes avec des gens qui savent manier vraiment il y en a déjà, et tu peux faire moi aujourd'hui je pourrais construire un livre entièrement à l'IA c'est-à-dire construire à la fois la structure narrative avec elle et ensuite les paragraphes et très rapidement t'as quelque chose t'as quelque chose de moyen mais t'as quelque chose qui serait supérieur à beaucoup de livres qui sortent malheureusement.
Monde Numérique :
[11:37] Alors donc, on sent effectivement et on sait que Alain Damasio a une approche très technocritique de tout ça, mais technocritique, ça ne veut pas dire couper de ses réalités. Je sais, tu vis à titre personnel, en famille, dans un cadre très particulier. C'est ce qu'on appelle, un éco-village ?
Alain Damasio:
[11:58] C'est une zone d'expérimentation, on appelle ça, nous, à l'Alsace, c'est une zone d'expérimentation sociale, terrestre et enchantée. C'est-à-dire social, c'est-à-dire que c'est un lieu politique où on essaie d'alimenter les luttes notamment écologiques et anticapitalistes, C'est un lieu terrestre, c'est-à-dire c'est un lieu au sens de Bruno Latour, un lieu écologique, et c'est un lieu enchanté, parce que c'est le très dernier terme, c'est-à-dire que c'est un lieu créatif où on fait beaucoup de stages de création, des théâtres forums, des stages d'écriture, des stages de création de l'univers. Donc c'est un lieu qui permet d'expérimenter ce qu'on n'arrive pas à voir ou à faire dans ce monde capitaliste.
Monde Numérique :
[12:30] Mais comment on marie ça avec la technologie ? Parce que ça ne t'empêche pas d'avoir un smartphone ?
Alain Damasio:
[12:34] Non, non, je n'ai pas de smartphone, moi.
Monde Numérique :
[12:36] Mais tes enfants ont nom, je crois.
Alain Damasio:
[12:38] Ouais ma fille a 15 ans on leur file le smartphone la petite non elle l'a pas, non non non c'est pas en opposition mais c'est juste qu'on essaie de développer d'autres liens voilà au lieu de dire le lien prioritaire et quotidien c'est un lien à la technologie c'est un lien aux écrans c'est un lien aux jeux c'est un lien aux réseaux sociaux au lieu de dire ça on dit on va essayer que le lien prioritaire soit un lien vivant et ça marche ça avec les plus jeunes c'est compliqué ouais ouais c'est compliqué parce que quand on est adulte avec la grande ça va avec la petite c'est compliqué de la sortir de la tablette c'est compliqué de la sortir, aller faire une rando tu vois, on se bat, alors même qu'on a des ornithologues qui arrivent on a des spécialistes botaniques, on a plein de gens qui sont des philosophes du vivant qui viennent et bien c'est compliqué quand même de ramener ce lien.
Monde Numérique :
[13:22] Mais est-ce que c'est pas plus facile quand on vient du monde où on a on s'est abreuvé, on s'est gavé de technologie et quelque part on en a souper, ras-le-bol et on a envie de cette déconnexion plutôt que pour des jeunes qui découvrent le monde Ouais je pense.
Alain Damasio:
[13:33] Qu'il y a ça aussi, il y a une saturation quand t'es en ville, t'es en défense la saturation urbaine elle est hallucinante oui le désir d'aller sur la mer d'aller en forêt, d'aller en rivière etc, il est fort et peut-être qu'elle, elle sent un peu trop, trop dans le monde enchanté déjà elles ont envie de tablettes il faut peut-être d'abord qu'elles se gavent.
Monde Numérique :
[13:53] D'Instagram et ensuite.
Alain Damasio:
[13:54] Elles ont envie de ça non mais en tout cas c'est pas si simple tu vois tu te dis pour moi c'est tellement beau ce qu'on a autour on a une vue à 60 km on est dans les Albes de Provence le lieu est somptueux, et ben ça suffit pas pour qu'elles aient envie de donc c'est là que tu vois que l'économie de désir derrière le numérique elle est ultra puissante quand même elle a été construit l'économie de désir.
Monde Numérique :
[14:13] C'est-à-dire vraiment la volonté.
Alain Damasio:
[14:14] C'est-à-dire les investissements désirs que l'individu fait par rapport aux numériques, ils sont extraordinaires. C'est-à-dire que tant qu'on n'arrive pas à battre ça, on ne peut rien faire, pour moi. C'est-à-dire que le plus facile, c'est l'outillage de la paresse, c'est l'outillage de la paresse cognitive. Il y a plein de tâches que le smartphone ou l'IA va faire plus facilement que toi et beaucoup plus vite. Donc, comme on a cette tendance à la loi du moindre effort qui est en nous, qui presse une tendance d'optimisation aussi des choses, l'économie de désir qui consiste à investir dans le moindre effort va dépasser tout ce que tu peux. Après, tu as la dimension démiurgique, le fait de vouloir avoir du pouvoir et ces machines te permettent d'avoir des pouvoirs. Donc, c'est ça l'économie de désir. C'est que ça te donne du pouvoir, ça outil t'apparaît.
Monde Numérique :
[15:02] Mais cette notion d'économie de désir, elle sous-entend vraiment qu'il y a de l'addiction provoquée, générée, engendrée, etc.
Alain Damasio:
[15:11] Ça, on le sait quand même.
Monde Numérique :
[15:12] Oui, on le sait, c'est sûr.
Alain Damasio:
[15:13] Pour moi, c'est des fantastiques. Mais il y a peut-être.
Monde Numérique :
[15:15] Aussi entre guillemets un besoin.
Alain Damasio:
[15:18] Ouais il y a des besoins mais il y a aussi une maximisation de la dépendance il y a une maximisation des mécanismes d'addiction voilà on le sait ça fait 30 ans ils bossent tous les GAFAM et toutes les boîtes qui se mettent en place sur ces champs là dans les applis les plateformes, leur objectif c'est de maximiser le temps qu'on passe sur leur machin et pour maximiser il faut des comportementalistes il faut des biavioristes, il faut des psychologues il faut des sociologues il faut tout un ensemble de sciences humaines de la manipulation qui sont mises en place. Pour qu'à la fin, tu t'auto-aliennes tout seul. Tu as besoin de personne pour t'auto-aliener. Et les pages, les applis et leur fonctionnement. Le local le plus classique, c'est TikTok. C'est-à-dire le déclenchement automatique de la vidéo. C'est un truc pour un prédateur naturel comme les l'êtres humains. Là, on est sur des bases d'anthropologie fondamentales. Dès que ça bouge, on regarde. C'est tout. On a été fait pour ça. On a été un chat. Tu lui fais bouger un truc. Tout de suite, son attention se met en place. donc on est sur des mécanismes extrêmement viscéreaux de dépendance et d'aliénation et ça marche Alain Damasio.
Monde Numérique :
[16:22] Tu vois j'avais préparé cette interview grâce à ChatGPT je lui ai demandé quelques idées de questions, c'était pas très bon le résultat donc j'ai dû rajouter mon concept, j'ai dû retravailler il y en a une que j'ai un peu retravaillée comme question mais que je trouvais que c'était assez intéressante donc question de ChatGPT mais l'IA malgré tout, est-ce qu'elle ne peut pas servir à reconquérir des espaces de liberté, Et moi, j'ai ajouté par la réduction de la charge de travail, les compétences supplémentaires qu'on peut acquérir grâce à l'IA, les assistants personnels qu'on aura tous demain. Est-ce que ça, ce n'est quand même pas un petit facteur d'émancipation ?
Alain Damasio:
[17:00] Bien sûr, tu peux parfaitement imaginer que l'IA va te libérer de plein de tâches, va te permettre de créer, va t'aider même en création, exactement comme Internet l'a fait et comme les logiciels de créativité le font. Tu peux être musicien, tu utilises les logiciels de créativité musicale et ça t'aide, ça t'émancipe, ça peut te faire avancer. Le problème, il n'est pas là. Le problème, c'est qu'on n'a pas une approche assez anthropologique des choses. Pour moi, c'est vraiment la grosse difficulté et la seule discipline vraiment utile, je trouve, pour comprendre ce qui va se passer. Et je suis désolé de voir que très peu de gens l'utilisent. En fait, ce n'est même pas des sociologues, ce n'est même pas des psys, même si la psychologie est quand même très importante. C'est vraiment l'anthropologie, c'est-à-dire quel type de comportement les hommes vont adopter par rapport aux potentialités qu'offre ce type d'outil. Quand tu vois, par exemple, immédiatement les usages que font les étudiants, les collégiens, etc., de chat de GPT, c'est pas un usage d'émancipation c'est pas un usage de créativité c'est un usage de soulagement des contraintes de l'école c'est un usage de paresse de loi du moindre effort etc donc tu peux, si t'es écrivain, et c'est pour ça que les écrivains moi je trouve qu'ils sont utiles dans ce champ là c'est que nous on a une espèce d'intuition généralement assez juste de des pratiques et des usages que vont permettre ces technologies et surtout des perversions des dévoiements, des facilités qu'elles vont amener et c'est là dessus que ça va se faire, je veux dire TikTok marche parce que les gens sont en.
Alain Damasio:
[18:22] Lâchage total, pulsionnel tu vois, c'est-à-dire qu'ils redescendent à un niveau pulsionnel et par rapport à ce niveau pulsionnel TikTok c'est parfait, enfin tu vois.
Alain Damasio:
[18:32] Et ce qui va se passer sur l'IA, ça va être ça. Quand tu as des intellos, des artistes comme moi, etc., on va te dire, ouais, moi, ça peut m'aider à la création, c'est fantastique, je dialogue avec elle et machin. On va se faire tout un truc de bobo, bac plus 5, etc. La réalité de la pratique quotidienne, ça va être la paresse. Ça va être l'outillage de la paresse. Point. Et donc, une manipulation potentielle des clients hallucinante. Hallucinante. Donc, le danger, il est là.
Alain Damasio:
[18:59] Donc, moi, je peux te raconter qu'effectivement, ça va m'aider à créer. Mais comme Wikipédia m'aide à créer aujourd'hui, beaucoup tu vois, je veux dire avant moi j'allais à la bibliothèque de Beaubourg, j'essayais de lire les derniers articles sur des innovations techno aujourd'hui je fais et je les ai immédiatement, donc ça accélère complètement mon travail tu vois, mais sur l'IA ça va être donc si tu te places pas sur l'économie c'est l'économie pulsionnelle, c'est vraiment l'économie libidinale qu'il y a derrière, si tu te places pas là dessus c'est comme sur le porno, enfin j'ai l'extension incroyable du porno si t'es écrivain tu la vois tout de suite tu sais que ça va être le champ numéro 1 d'investigation du mal sur le réseau et.
Monde Numérique :
[19:36] Après ce voyage en Silicon Valley ton constat c'est que de toute façon ils s'en foutent de ces préoccupations là.
Alain Damasio:
[19:43] Ce qu'on dit pas c'est que c'est une culture ultra capitaliste et en plus ultra individualiste c'est à dire que pour eux d'abord les ventures capitalistes c'est là qu'ils sont situés et concentrés mondialement ça veut dire qu'ils sont là pour faire d'abord du fric. Et je veux dire, là encore, on parle de quel est le désir qui anime la Silicon Valley, quel est le tenseur le plus profond de la Silicon Valley, c'est faire du fric. C'est trouver la start-up qui va être vendue à un milliard et qui va faire que tu vas être richissime. Tu vois ? Donc, tout est orienté là-bas là-dessus. C'est une aimantation vers quel est le projet qui le plus rapidement va me faire le maximum de fric possible.
Monde Numérique :
[20:24] Ça a permis de réaliser des choses fantastiques.
Alain Damasio:
[20:26] Bien sûr. Mais on oublie de dire que Silicon Valley, c'est 2% de projets qui réussissent, 2%, 98% c'est des échecs et ils en ont rien à foutre parce que les 2% ils te permettent de tout exploser donc il y a sans arrêt des projets qui se plantent qui se plantent et puis tout d'un coup au 10ème projet tu fais, mais en tout cas le tenseur c'est pas d'améliorer la société, c'est pas de dépolluer le monde, c'est pas de rendre la terre un peu plus habitable c'est pas de, développer les services publics c'est pas tout ça, c'est à titre individuel faire le maximum de fric et ça oriente tout et ça dévoie à tout.
Monde Numérique :
[21:02] Merci beaucoup Alain Damasio, auteur de « Vallée du silicium au seuil ».