Luc Julia, expert en intelligence artificielle, et Guillaume Le Dieu de Ville, co-fondateur de la société Lingueo, expliquent l'apport de l'IA générative pour l'apprentissage des langues.
Interview
Luc Julia, expert en intelligence artificielle.
En quoi l'utilisation de l'intelligence artificielle transforme-t-elle l'apprentissage des langues ?
Traditionnellement, l'apprentissage des langues impliquait des contenus génériques, souvent peu engageants. E-Late de Lingueo a la particularité de générer des contenus personnalisés en fonction des centres d'intérêt ou du contexte professionnel de l'apprenant. Par exemple, si quelqu'un est passionné de football, le système proposera des textes en anglais sur ce sujet, rendant l'apprentissage plus motivant et efficace.
Cela aurait été impossible avant ?
On aurait pu imaginer des approches personnalisées il y a quelques années, mais cela restait compliqué à mettre en œuvre. Ce qui est révolutionnaire avec les LLMs actuels, c'est la capacité à générer des contextes riches et variés en quantité illimitée, tout en respectant des contraintes précises. Cela simplifie énormément le travail, en particulier pour les entreprises qui n'ont plus besoin de concevoir manuellement ces contenus. Aujourd'hui, l'IA rend ces processus accessibles et beaucoup plus efficaces.
Guillaume Le Dieu de Ville, co-fondateur de la société Lingueo.
Qu’est-ce que votre solution E-Late apporte concrètement ?
Par exemple, si vous travaillez chez Disneyland Paris, où les métiers sont très spécifiques, l’outil prend en compte le contexte de l’entreprise. Il peut générer des scénarios d’apprentissage adaptés : accueillir des visiteurs internationaux, gérer des situations d’urgence ou expliquer les attractions en plusieurs langues. Tout le contenu d’apprentissage et les évaluations seront centrés sur ces cas précis. Ainsi, un employé n’apprend pas un anglais générique, mais un anglais directement applicable à son quotidien professionnel, ce qui rend la formation beaucoup plus pertinente et efficace.
L'IA pourra-t-elle un jour remplacer les formateurs humains dans l'apprentissage des langues ?
Nous croyons fermement à la complémentarité IA / Humain. L'IA est un outil puissant pour personnaliser et optimiser l'apprentissage, mais le lien social et l'interaction humaine restent essentiels. Nous envisageons l'IA comme un assistant pour les formateurs, les aidant à proposer des exercices sur mesure et à suivre les progrès des apprenants, tout en conservant le rôle central de l'humain dans le processus éducatif.
Transcription :
Luc Julia :
[0:01] Arrêtons d'essayer de faire apprendre aux gens des trucs avec des choses qu'ils n'ont rien à faire. S'ils aiment le foot, donnons-leur du contenu de foot et ça va les motiver pour lire en anglais sur le foot.
Monde Numérique :
[0:15] Bonjour Luc Julia.
Luc Julia :
[0:16] Bonjour Jérôme.
Monde Numérique :
[0:17] Spécialiste de l'intelligence artificielle et qu'on ne présente plus, mais que l'on retrouve aujourd'hui pour parler d'une entreprise française qui s'appelle Lingueo qui lance un outil présenté comme révolutionnaire ou en tout cas très innovant pour l'apprentissage des langues. Ça s'appelle ILAT. Et vous êtes en grande partie derrière ce ILAT. Qu'est-ce que vous êtes venu faire dans ce truc-là ?
Luc Julia :
[0:39] Je ne vais pas dire que je suis en grande partie derrière eux. C'est-à-dire que j'ai eu la chance de les avoir comme stagiaire il y a 20 ans. On a à cette époque-là, on travaillait sur une compagnie d'éducation. Et donc, on avait des idées déjà un peu particulières, surtout de personnalisation. L'idée, c'était de dire si on veut motiver les gens pour apprendre une langue ou pour apprendre à lire ou pour des choses comme ça qui sont un peu compliquées, on va leur fournir du contenu qu'ils aiment bien, du contenu qui les touche. Et là, ils hâtent quand ils sont venus me présenter le projet il y a quelques temps et qu'ils m'ont expliqué qu'ils allaient utiliser l'intelligence artificielle, en l'occurrence des modèles style LLM, style Salgipiti, pour générer du contenu qui allait s'adapter à l'entreprise particulièrement ou aux choses qui allaient être de l'intérêt des gens, je leur ai dit c'est super. Et donc ce que j'ai fait, c'est que je leur ai donné quelques petits conseils qu'ils ont bien suivis.
Monde Numérique :
[1:36] Donc, Ilat, c'est la fin de Brian is in the kitchen, c'est-à-dire ces histoires avec lesquelles on a appris l'anglais et qui n'intéressaient personne.
Luc Julia :
[1:43] Exactement, c'est ça. C'est exactement le truc que déjà, il y a 20 ans, dans notre boîte qu'on appelait à l'époque Speak ESL, qui était dans la Second Valley, où on disait arrêtons d'essayer de faire apprendre aux gens des trucs
Luc Julia :
[1:54] avec des choses qui n'ont rien à faire et donnons-leur le contenu. S'ils aiment le foot, donnons-leur du contenu de foot et ça va les motiver pour lire en anglais sur le foot.
Luc Julia :
[2:05] Et là, Ila, c'est exactement ça. Là, c'est plus orienté professionnel. Donc, on a très facilement, il y a un petit questionnaire sur l'entreprise. Et donc, ça génère des contenus qui vont être complètement adaptés à l'entreprise. Et ça va permettre de faire des tests, ces fameux tests de niveau A1, B1, etc. Ils vont être complètement adaptés à l'entreprise elle-même.
Luc Julia :
[2:27] Et ils gardent quand même la validation de ces tests. Donc, c'est assez impressionnant.
Monde Numérique :
[2:34] Pourquoi est-ce qu'il a fallu attendre 2024 pour ça ? Est-ce que vraiment, c'est l'IA d'aujourd'hui qui permet ça, qui ne permettait pas avant ?
Luc Julia :
[2:41] On aurait pu avant faire des choses très spécialisées, très personnalisées en donnant le choix aux gens. Mais c'est compliqué. Les gens sont un peu feignants pour faire eux-mêmes, même dans les entreprises où ils ont plein de gens qui vont faire avec une société de formation. Ils vont dire ça m'emmerde de créer le contenu. Là, le contenu est créé automatiquement grâce à ces IA génératives qui, par définition, se génèrent. Et donc, on peut générer n'importe quoi. Et quand on va leur donner les carcans de ce n'importe quoi, quand on va leur dire, tu génères dans ce domaine-là, ces IA génératifs sont très, très fortes pour générer des trucs et à l'infini. Donc, c'est vraiment quelque chose qui devient très facile, du coup, pour pouvoir faire en sorte que les gens ne soient pas juste « board », comme on dit « board » en français, qu'ils ne s'ennuient pas.
Monde Numérique :
[3:27] Donc, en fait, c'est-à-dire que le système, c'est que je lui dis, « Mon métier ou le poste auquel j'aspire, c'est vendeur de photocopieurs ou vendeur de porte-avions nucléaires. », les cours à mon profil.
Luc Julia :
[3:43] Tout à fait, c'est exactement ça. Il va vous poser les questions qui vont bien, autour du photocopieur. Ça va générer beaucoup de contenu autour de ça et tous les tests qui vont être faits. Il y a quand même 30 minutes de tests. C'est des tests oraux dans les deux sens. J'écoute, je parle. C'est des textes écrits. J'écris et je lis. Tous ces tests vont être complètement spécifiquement faits autour de la vente de la photocopieuse.
Monde Numérique :
[4:11] Mais est-ce qu'on sait si ça donne vraiment de meilleurs résultats ?
Luc Julia :
[4:14] Oui, mais ça, ça fait longtemps qu'on sait ça. C'est-à-dire que nous, à l'époque, il y a 20 ans, on travaillait avec des psychologues, on travaillait avec des éducateurs. Alors moi, je ne suis pas éducateur de haut niveau, mais on travaillait avec des éducateurs de haut niveau qui donnaient des résultats absolument extraordinaires. Cette implication dans le contenu fait que, enfin, on comprend,
Luc Julia :
[4:33] ça paraît logique, mais ça marche vraiment, oui, bien sûr.
Monde Numérique :
[4:36] La prochaine étape, c'est les avatars. discuter avec un personnage entièrement de synthèse ?
Luc Julia :
[4:43] Oui, enfin, il ne faut pas trop anthropomorphiser les choses. C'est-à-dire qu'il ne faut pas croire que c'est parce qu'on va avoir un avatar qui ressemble à un humain que ça va être un humain. Donc, je pense que là, le fait de faire ça avec des tests, je crois que c'est intéressant parce que le test, c'est la porte d'entrée pour pouvoir savoir comment et pour pouvoir donner une idée justement à l'éducateur humain quels sont les points sur lesquels il insiste pour des personnages, pour des personnes particulières. Mais je pense que garder l'humain et garder l'interaction avec des humains, ça va être beaucoup plus intéressant, même pour apprendre. Parce que apprendre avec un avatar, avoir un avatar en permanence, je pense que le lien social ne peut jamais vraiment se faire, même si l'avatar a l'air vraiment complètement humain. On peut quand même détecter au bout d'un moment une certaine fatigue.
Monde Numérique :
[5:26] Merci Luc Julia.
Luc Julia :
[5:27] Avec plaisir Jérôme.
Monde Numérique :
[5:31] Guillaume, le dieu de ville, bonjour.
Guillaume Le Dieu de Ville:
[5:33] Bonjour.
Monde Numérique :
[5:34] Cofondateur de la société Lingueo, qu'est-ce que ça change par rapport à un système d'apprentissage traditionnel ?
Guillaume Le Dieu de Ville:
[5:40] Par exemple, vous travaillez au sein d'Air France, vous êtes PNC, donc personnel navigant commercial. On va pouvoir évaluer votre niveau en contexte professionnel avec toutes les spécificités métiers et on va savoir très rapidement les compétences que vous avez à travailler. Donc, on va pouvoir mieux orienter votre formation de manière plus ciblée, moins coûteuse pour l'entreprise et surtout plus efficiente.
Monde Numérique :
[6:03] Qu'est-ce que l'intelligence artificielle apporte concrètement ? Vous avez travaillé avec Luc Julia. Quel a été son apport et en quoi l'IA peut aider à résoudre le problème de l'apprentissage des langues ?
Guillaume Le Dieu de Ville:
[6:15] L'IA nous a permis de faire deux choses. Déjà, on a créé notre propre moteur qui est un moteur de génération. Donc, on parle d'IA générative. Donc, on génère des contextes et des questions,
Guillaume Le Dieu de Ville:
[6:28] des cas d'usage très spécifiques qui se basent sur notre référentiel métier. Luc nous a beaucoup aidé à cadrer ça, notamment sur les modalités. Vous avez de l'oral, du dialogue. Donc, vous avez de la compréhension écrite. Et de l'autre côté, une deuxième base de ce moteur, un deuxième pilier qui est l'évaluation. Et en fait, Luc nous a accompagnés dans ce projet sur la vision à la fois globale de notre société dans l'IA, mais plus spécifiquement sur l'approche à avoir d'un point de vue technique sur ces modalités.
Monde Numérique :
[6:58] C'est dessiné à qui ?
Guillaume Le Dieu de Ville:
[6:59] On s'adresse à trois populations. Un, les entreprises qui vont pouvoir cartographier aujourd'hui les compétences linguistiques précises de leurs collaborateurs. Deux, on s'adresse aussi à nos formés, c'est-à-dire les clients de Lingual. Qui vont pouvoir se positionner en amont des formations. Et ensuite, dans un temps très proche, on va proposer le ILAT à plus de 300 organismes de formation linguistique qui, eux aussi, vont pouvoir mieux positionner leurs apprenants, leurs clients.
Monde Numérique :
[7:29] Donc, si on comprend bien, l'apport de l'IA, c'est vraiment qu'elle s'adapte à la situation de l'apprenant. S'il est commerçant, s'il est technicien, etc. Quels sont les différents cas de figure qui peuvent se présenter ?
Guillaume Le Dieu de Ville:
[7:41] Aujourd'hui, vous êtes par exemple chez Disneyland Paris, vous allez avoir des métiers un peu spécifiques. Pouvoir donner un contexte. Qui est Disneyland Paris ? Qu'est-ce que nous faisons ? Quels sont nos métiers ? Quels sont nos objectifs de formation ? Et tout ça, la machine va le prendre en compte pour s'adapter aux métiers de chacun. Donc, on va avoir des cas de figure qui sont uniques et spécifiques uniquement à Disneyland Paris. Et ça, c'est assez génial. Surtout si on arrive à bien l'évaluer derrière.
Monde Numérique :
[8:10] Ça, ça n'existait pas avant.
Guillaume Le Dieu de Ville:
[8:11] Ça n'existait pas du tout. Ou alors, vous en faisiez quelques-uns à la main, mais vous ne pouviez pas faire répondre à un nombre infini de configuration.
Monde Numérique :
[8:19] L'apprentissage des langues, c'est beaucoup démocratisé. Il y a des applis, dont certaines très connues.
Monde Numérique :
[8:25] Est-ce que là, vous, véritablement, on franchit une nouvelle étape ?
Guillaume Le Dieu de Ville:
[8:28] Disons que cette première brique, parce que c'est une première brique chez nous, nous permet d'avoir un meilleur départ pour avoir une meilleure arrivée. Si on commence mieux, on va mieux orienter. Donc, on va avoir une formation plus adaptée, quelle que soit la modalité qu'on va utiliser. Nous, chez Linguo, on prône l'être humain, l'individu, la relation individuelle. Elle est très importante. Le lien social est important pour l'engagement. Donc, on y croit dur comme fer. Mais l'IA va nous permettre, au fur et à mesure, d'ajouter des briques qui vont venir accompagner. Vous pouvez imaginer demain des super formateurs qui ont des super assistants qui pourront penser, optimiser, générer des exercices sur mesure,
Guillaume Le Dieu de Ville:
[9:04] piloteront ça et donc, il y aura un meilleur usage et des meilleurs résultats.
Monde Numérique :
[9:09] Est-ce que vous envisagez éventuellement d'aller plus loin et de mettre en œuvre des avatars, des formateurs de langues sous forme d'avatar par exemple, mais en vidéo également ?
Guillaume Le Dieu de Ville:
[9:19] On l'imagine, mais comme une extension de nos formateurs. Ça veut dire qu'on pourra demain scanner nos formateurs et donc avoir un certain nombre d'informations sur leur manière d'enseigner qui leur sera propre, leur unicité et on aura ce double. Tout à l'heure, je parlais d'assistants, mais si ça se trouve, ça sera leur clone, leur avatar qui viendra, mais pour aider et pour agir quand lui n'est pas disponible et que lui n'est pas là pour diriger et impacter ce lien social.
Monde Numérique :
[9:46] Une dernière question. Je vais me faire l'avocat du diable, mais est-ce que c'est vraiment encore utile aujourd'hui d'apprendre des langues alors qu'il y a mille outils qui peuvent faire de la traduction simultanée, y compris en visio, etc.
Guillaume Le Dieu de Ville:
[9:59] C'est une très bonne question. Nous, on pense que oui, parce qu'on pense que c'est la base de la communication, du lien social. Effectivement, aujourd'hui, demain, vous pourrez avoir des lunettes et de la traduction simultanée. Vous ne poserez pas de questions pour des choses simples, pratiques. Vous pourrez être outillé. Demain, quand vous voudrez, je ne sais pas, vous marier, faire du business vraiment important avec quelqu'un, il y aura toujours l'importance de ce lien social. C'est une question de vision de la société. Nous, on est intimement convaincus qu'à un moment donné, On n'ira pas plus loin, même si la technologie le permet. C'est une question de conception, parce que sinon, on arrive dans un monde où si on n'a plus besoin d'apprendre de langue, on n'a plus besoin d'avoir des
Guillaume Le Dieu de Ville:
[10:38] spécificités culturelles, on n'a plus besoin d'avoir plusieurs langues. À la fin du fin, si une machine traduit au bout d'un moment, chacun va vivre soit en communauté, et donc le communautarisme ultra exacerbé, ou alors d'un coup, tout va s'unifier et on aura une sorte d'espéranto, tout le monde parlera la même langue. Nous, on pense que la culture est importante et que personne ne laissera tomber tout ça.
Monde Numérique :
[10:59] Merci Guillaume Le Djeu de Ville de la société Lingeo.
Guillaume Le Dieu de Ville:
[11:03] Merci à vous.