La société iFixit, spécialisée dans les tests de réparabilité des appareils électroniques, estime que les constructeurs ont progressé mais peuvent encore mieux faire.
Interview
Sandra Auboy, reponsable d’iFixit Europe
Diriez-vous que la durabilité des produits hightech évolue depuis que vous évaluez leur réparabilité ?
Oui, il y a des progrès. Grâce à notre travail, et aux législations qui promeuvent la réparabilité, de plus en plus de marques collaborent avec nous et prennent en compte ces aspects dès la conception de leurs appareils. Certaines marques, comme Fairphone, intègrent même la réparabilité dès le départ, ce qui est encourageant pour le secteur.
Apple a longtemps été critiqué pour la complexité de ses appareils à réparer. Ont-ils également fait des efforts ?
Oui, sur les derniers modèles d’iPhone, Apple a introduit des améliorations comme l’ouverture des deux faces, ce qui facilite le remplacement de composants comme la batterie. Ils ont également ajouté un système qui simplifie le retrait de la batterie. Cependant, le verrou logiciel contre le vol lié aux pièces reste un obstacle, car chaque pièce est associée à un appareil spécifique, ce qui limite les possibilités de reconditionnement.
iFixit propose des kits de réparation pour les consommateurs. Y a-t-il réellement une clientèle pour cela ?
Absolument. Nous avons une communauté de plus de 3 millions de personnes dans le monde, avec environ 150 000 visites de tutoriels par mois en France. Les gens sont de plus en plus motivés par des raisons écologiques et économiques à réparer eux-mêmes leurs appareils, et nous les accompagnons en leur fournissant les pièces et outils nécessaires.
Guest:
[0:00] On voit que les fabricants font des efforts dans la réparabilité de leurs appareils en général, que ce soit au niveau des composants, de l'accessibilité.
Monde Numérique :
[0:14] Bonjour Sandra Auboy.
Guest:
[0:16] Bonjour.
Monde Numérique :
[0:16] Vous représentez donc en France la société iFixit, entreprise américaine, bien connue des geeks, j'ai envie de dire, notamment pour ses tests de réparabilité. Vous pouvez nous présenter un petit peu iFixit ?
Guest:
[0:30] Donc iFixit a été créé il y a 21 ans maintenant aux Etats-Unis. On a également un siège en Europe depuis 11 ans en Allemagne, à Stuttgart. Donc on est bien implanté aussi en Europe. Et iFixit, on peut résumer ça, c'est une plateforme en ligne qui veut rendre la réparation accessible à tous. Donc on essaie de mettre en place une sorte d'écosystème qui permet de favoriser la réparation à tous les niveaux. Par exemple, on propose des tutoriels qui nous ont fait connaître au fil des années. Là, actuellement, on en a plus de 100 000 dispos sur notre site traduit en 12 langues. On a une énorme communauté aussi qui participe à la traduction, à la réponse sur le forum et à promouvoir la marque et la réparation un peu partout dans le monde. Et bien sûr, on a la partie boutique en ligne où on propose les pièces détachées pour réparer les appareils et les outils qu'on conçoit en interne aussi.
Guest:
[1:32] Donc c'est un écosystème pour rendre la réparation accessible.
Monde Numérique :
[1:38] Alors iFixit est connu pour ces vidéos dans lesquelles on décortique tous les produits high-tech, principalement les smartphones, pour savoir s'il est possible, facile ou pas de les réparer.
Guest:
[1:51] Oui, c'est vrai que l'histoire a un peu commencé comme ça. On s'est fait connaître par les fameux tiers-down, les démontages complets. Nos équipes démontent les smartphones ou les appareils pour voir comment c'est fait à l'intérieur, et voir le niveau de réparabilité physique de chaque appareil pour voir est-ce que c'est long, est-ce que c'est compliqué pour changer la batterie parce que, par exemple, c'est une panne les plus grande, les écrans. Et on donne une note de réparabilité. Et on a notre propre indice de réparabilité qu'on avait mis en place avant l'indice de réparabilité français. Et donc, ça permet aux gens d'avoir un aperçu de l'appareil qu'ils peuvent acheter et voir s'il est réparable.
Monde Numérique :
[2:35] Derrière ça, on le comprend et on le devine, il y a une vraie volonté d'aller vers plus de durabilité pour ces produits, protéger l'environnement, etc. Est-ce que vous avez constaté au fil des années, du fait de ces tests et du fait de votre action, une évolution ? Est-ce que ça a changé ?
Guest:
[2:54] Alors oui, on voit que les fabricants font des efforts dans ce sens, dans la réparabilité de leurs appareils en général, que ce soit au niveau des composants, de l'accessibilité. On espère qu'on a eu un impact dans ce milieu. Après, c'est vrai que grâce à notre expérience, au fil des années, certaines marques se sont tournées vers nous pour nous demander conseils. Et effectivement, il y a les législations qui se sont mises en place un peu partout dans le monde, qui promeut la réparation des appareils. Et c'est vrai que les fabricants se sentent obligés de se conformer à ces législations pour rendre accessible la réparation, que ce soit au niveau financier,
Guest:
[3:37] économique pour les gens et la durabilité. Parce que c'est un vrai sujet d'actualité.
Monde Numérique :
[3:43] Bien sûr. Oui, parce qu'on sait que le gros impact environnemental de la tech, c'est surtout au moment de la fabrication des appareils.
Guest:
[3:50] Oui, c'est à peu près 80% de l'impact environnemental d'un appareil qui est produit lors de sa fabrication, que ce soit l'extraction des matériaux, des minéraux, la pollution qui est liée à cette extraction, l'eau utilisée, la pollution des terres et de la biodiversité. Et c'est vrai que c'est à peu près entre 80 et 85 % de l'impact,
Guest:
[4:15] c'est au moment de la fabrication de l'appareil. D'où l'importance de réparer et d'éviter de racheter neuf à chaque fois pour limiter au moins cet impact.
Monde Numérique :
[4:25] Puisqu'on parle surtout des smartphones, c'est quoi la durée de vie d'un smartphone aujourd'hui ?
Guest:
[4:29] Alors, il y a une différence entre durée de vie et le changement de chaque utilisateur. Parce que c'est vrai que la durée de vie maintenant les lois et les mises à jour c'est minimum 5 ans, Après, on sait que statistiquement, les gens ont tendance à changer tous les 2-3 ans de smartphone parce que la batterie va décliner un petit peu, parce qu'on a envie du nouveau modèle, pour diverses raisons. On arrive à faire changer un peu les consciences aussi de se dire que ce n'est pas parce que la batterie est un petit peu plus faible qu'on ne peut pas la changer et conserver son téléphone. Parce que le nouveau modèle, il n'y a pas tant de différence au niveau fonctionnalité et ça peut convenir tout à fait.
Monde Numérique :
[5:12] Oui, alors ça peut convenir tout à fait, peut-être à une grande partie des utilisateurs. Mais l'histoire de ces produits-là, c'est aussi une évolution technologique permanente, avec un besoin de puissance exponentielle. Là, il y a l'intelligence artificielle qui arrive sur les smartphones. Ça ne pourra fonctionner que s'il y a des machines puissantes, ce qui va obliger encore une fois à faire évoluer son téléphone.
Guest:
[5:39] Alors oui, effectivement, il y a certains qui ont besoin à chaque fois les derniers modèles pour la puissance. Après, en toute honnêteté au quotidien, le commun des mortels n'a pas forcément besoin du dernier iPhone avec peu d'évolution d'une année à l'autre. Nous, on ne dit pas qu'il ne faut jamais changer d'appareil quand on en ressent le besoin. C'est juste qu'il faut qu'il y ait un réel besoin, que l'appareil soit irréparable ou qu'il soit vraiment trop obsolète pour se dire « Bon, ok, là, peut-être, il faut que je change. » Et pourquoi pas se tourner aussi vers le seconde main, le reconditionner pour des modèles plus récents que ce qu'on pourrait avoir. Nous, notre idée, ça serait un peu de limiter cette société du tout jetable de consommation, de surconsommation, pour dire « Ah ouais, j'ai le dernier, qui est encore plus puissant. » Mais au final, la plupart des gens n'utilisent pas toutes les fonctionnalités. C'est limité de prendre un peu conscience du fait que changer, racheter tous les ans, tous les deux ans, pour une utilisation qui reste quasi équivalente, Ce n'est pas forcément utile.
Monde Numérique :
[6:49] Après, il y a le marché de la seconde main. Les appareils, aujourd'hui, ont une deuxième, voire une troisième vie.
Guest:
[6:55] Alors oui, ça, c'est une très bonne chose. Après aussi, pour ce marché de la seconde main, c'est favorisé pour les appareils qui sont réparables. Parce que pareil, pour une seconde main, souvent, il faut remplacer la batterie pour leur mettre un petit peu d'aplomb. Donc oui c'est vrai que c'est une solution qui est intéressante pour si on veut évoluer sur un modèle un peu plus supérieur à ce qu'on a la seconde main le
Guest:
[7:23] reconditionner ça peut être une bonne idée.
Monde Numérique :
[7:25] Est-ce qu'il y a aujourd'hui encore des bons et des mauvais élèves ?
Guest:
[7:29] Alors oui, après tout n'est pas blanc, tout n'est pas noir il y a certains qui vont faire des progrès sur, certains aspects après on sent qu'il y a quand même une tendance assez générale sur l'amélioration de la réparabilité. Après, il y a des bons élèves qui se mettent en avant par rapport à ça depuis le début. Par exemple, des marques comme Fairphone, où c'est carrément leur vision des choses, où ils intègrent la réparabilité dès les premières phases de conception.
Monde Numérique :
[8:01] Mais c'est très particulier, c'est un marché microscopique.
Guest:
[8:05] C'est un marché mais microscopique, je ne sais pas. Mais après, c'est intéressant de voir que des marques peuvent intégrer cette notion dès les premières phases de conception et ne pas se dire au dernier moment, comment on peut faire pour que la batterie ne soit pas si compliquée à retirer. On voit des marques qui font des progrès. Google, Microsoft, les derniers modèles sont beaucoup plus réparables.
Monde Numérique :
[8:28] Microsoft, ils n'ont pas beaucoup de smartphones. Vous parlez des ordinateurs.
Guest:
[8:31] C'est des marques au global, ce n'est pas forcément que smartphones. C'est vrai que Microsoft, oui, c'est plus sur la partie tablette PC. Google, c'est sur les pixels. Donc, voilà, on sent qu'il y a des tendances en ce sens. Et nous, on est plutôt contents de voir que des marques font des progrès et qui essayent d'intégrer ça, de se dire, voilà, c'est quelque chose qui est important et que ce soit pour l'économique, mais même pour leur image de marque.
Monde Numérique :
[9:01] Apple qui s'était fait pas mal retoquer, je crois, par vous, par vos services, par iFixit à une époque, et piquer aujourd'hui ce targ d'être
Monde Numérique :
[9:10] vraiment très en avance en termes de respect de l'environnement. Est-ce qu'au global, les iPhones remplissent les conditions que vous avez fixées ?
Guest:
[9:23] Être très en avance sur la réparabilité ou ce genre de points sur Apple, on n'irait pas jusque-là. Après, on voit que sur les derniers modèles, Apple a quand même fait des efforts sur la réparabilité physique des derniers iPhones, les iPhones 16, avec par exemple la généralisation de l'ouverture par les deux faces, que ce soit la vitre avant et la vitre arrière, qui évite d'avoir à démonter l'ensemble des composants, retirer la carte mère pour changer une batterie, par exemple, ou l'écran. Donc ça, c'est plutôt bien. Même mettre en place une petite astuce par un petit courant électrique qui permet de retirer la batterie des nouveaux iPhones très simplement au lieu d'avoir les stickers qui peuvent se casser.
Monde Numérique :
[10:10] Les stickers qu'on n'arrive plus à remettre, etc.
Guest:
[10:12] C'est ça, les stickers qui ont tendance à se casser en objet de manœuvrer, ce n'est pas forcément très pratique. Donc ça, on apprécie ce genre d'effort. Après, c'est un peu dommage qu'ils ne mettent pas autant en avant que ça dans leur côté marketing. Donc ça, c'est une bonne chose. Après, pour rester sur le cas d'Apple, il y a toujours l'aspect verrou logiciel avec l'appariement des pièces, C'est-à-dire, chaque pièce a un numéro de série attribué à une carte mère en particulier. Et si vous voulez changer, les iPhones, comme ils font un check à l'allumage, ils se rendent compte que cette pièce n'est pas d'origine. Et auparavant, ça provoquait des blocages. La pièce pouvait fonctionner, mais par exemple, Face ID était désactivé ou un message d'erreur apparaissait. Enfin, voilà, c'est assez...
Monde Numérique :
[10:59] Ça empêchait d'utiliser des pièces d'autres fabricants, en fait.
Guest:
[11:03] Oui, ou même entre iPhone. par exemple vous prenez deux iPhone 12 par exemple vous échangez certains la caméra Face ID c'est deux pièces officielles d'Apple mais c'est pas raccordé à la carte mère il y avait ça désactivait Face ID donc c'est pas uniquement les pièces tierces c'était aussi même les pièces, donc voilà après ils ont fait là avec iOS 18, l'assistant réparation qui fait que les gens peuvent, sur le téléphone directement, valider une pièce tierce, que ça soit d'un autre iPhone, récupérer une pièce, achetée auprès d'Apple ou une pièce d'un autre fabricant. Donc ça, c'est plutôt bien. C'est plutôt bien. Après, c'est lié aussi au compte iCloud de chaque utilisateur. Donc c'est bien pour prévenir le vol.
Monde Numérique :
[11:49] Oui, c'est ça. C'est que maintenant, Apple en fait un élément de sécurité pour éviter le vol d'iPhone uniquement pour la revente des pièces.
Guest:
[11:58] Alors oui, c'est vrai. Donc ça, c'est plutôt un bon point. Après, il faut relativiser parce qu'on n'a pas forcément de statistiques sur le nombre d'iPhone qui étaient revendus pour pièces détachées dans le monde. Donc voilà, on est un peu difficile de dire ah oui, c'est super parce que ça va vraiment bloquer un gros marché parce qu'on n'a pas forcément de données là-dessus.
Monde Numérique :
[12:17] Il suffit d'avoir un petit marché quand on est concerné, c'est un vol de trop.
Guest:
[12:21] On est d'accord. Après, voilà, on est d'accord. c'est bien dans ce sens après le revers de la médaille c'est qu'on sait très bien que les reconditionneurs disent que souvent les gens qui donnent au recyclage leurs anciens appareils oublient de retirer iCloud, Et du coup, que ce soit les ordinateurs ou les smartphones, sont inutilisables. Et maintenant, avec ce verrou, ils ne pourront même pas être récupérés pour pièces pour reconditionner un autre appareil. C'est vraiment une brique. Une brique qui, du coup, va générer encore plus de déchets électroniques. Donc, c'est pour ça. Il y a toujours une balance à avoir. Comme on n'a pas forcément statistiques sur le papier, limiter les vols, c'est super. Après, au quotidien, ça aussi limite beaucoup le marché du reconditionnement parce que c'est vrai que les gens oublient de retirer leur compte iCloud et du coup, ça bloque absolument toutes les pièces.
Monde Numérique :
[13:21] Alors, quand on parle de réparabilité, la plupart des gens font réparer leur appareil par des spécialistes dans des boutiques, mais il y en a aussi qui se risquent à le faire eux-mêmes. Et justement, vous, iFixit, vous proposez des kits de réparation pour un certain nombre d'appareils.
Guest:
[13:38] Oui, on propose les kits avec les pièces détachées, les outils inclus avec, pour que les gens aient tout à disposition pour faire eux-mêmes la réparation, que ce soit changer la batterie, l'écran, pour les réparations les plus courantes. Car effectivement, les smartphones, même si on a une boîte à outils plutôt chargée, On a rarement le tournevis suffisamment petit pour dévisser la petite vis sur l'iPhone ou n'importe quel téléphone. Donc voilà, on propose les kits prêts à emploi.
Monde Numérique :
[14:13] Ça concerne quels appareils ?
Guest:
[14:16] Tous les partenaires, en général, ont déjà des kits. Après, on a aussi sur les iPhones, on a sur les principales marques. On a les principales marques, les gens peuvent avoir le kit prêt à emploi.
Monde Numérique :
[14:26] Il y a beaucoup de gens qui réparent eux-mêmes leur smartphone ?
Guest:
[14:29] Alors il y en a de plus en plus. On a par exemple la communauté qu'on a, c'est plus de 3 millions de personnes dans le monde, donc ça veut dire que c'est des gens qui bricolent au quotidien et on voit une tendance croissante en France. En France, je crois qu'on est à plus de 150 000 visites de tuto par mois, donc on sent vraiment un intérêt pour la réparation. Donc voilà, les gens osent de plus en plus que ça soit pour le côté économique et écologique.
Monde Numérique :
[15:02] Et vous avez passé même des partenariats, je crois, avec des marques, avec certains fabricants de smartphones pour proposer des kits de réparation plus facilement, c'est ça ?
Guest:
[15:13] Alors oui, on propose les kits de réparation pour ces marques. On est là aussi pour les accompagner sur la proposition de tuto qu'on peut faire avec eux pour que les gens puissent réparer leurs appareils et aussi leur donner des conseils sur la réparabilité de leurs appareils à différentes phases, que ce soit plus tôt dans la conception ou un peu plus tard,
Guest:
[15:33] pour les accompagner sur la réparabilité.
Monde Numérique :
[15:35] Ah oui, vous conseillez les fabricants dans leur manière de concevoir leurs produits pour qu'ils soient plus facilement réparables ?
Guest:
[15:45] Alors oui, on peut leur proposer un accompagnement en ce sens, pour leur dire, sur les précédents modèles, par exemple, on a repéré qu'il y avait tel ou tel élément qui était un peu compliqué à retirer, la batterie c'était un peu difficile, on peut améliorer sur ce point pour faciliter le retrait de la batterie, pour changer l'accès à la prise USB, on a un travail d'accompagnement. Après, les marques écoutent ou pas, suivent nos conseils ou pas. Ils restent libres de le faire, mais on les accompagne aussi en sens si elles nous demandent.
Monde Numérique :
[16:22] Merci Sandra Auboy, représentante en France de la société iFixit. On peut retrouver tous les tutos sur le site d'iFixit. Ce qui s'écrit, je le précise, iFixit. On a compris ce que ça voulait dire, ça veut dire je le répare.
Guest:
[16:39] Voilà, c'est ça, je le répare.
Monde Numérique :
[16:40] Merci beaucoup Merci.