Olivier Mével:
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0:01] Ça ne sert à rien, mais ça ne sert à rien comme quand on joue avec son chat,
Olivier Mével:
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0:08] par exemple. Ça ne sert à rien. C'est un passe-temps, il n'a pas une utilité immédiate.
Olivier Mével:
[
0:16] En même temps, je trouve que ça questionne un peu aussi l'utilité d'autres objets. Parce qu'on peut se dire, celui-là est clairement inutile, mais les autres, si on y réfléchit, sont-ils si utiles ? Les objets électroniques notamment.
Monde Numérique :
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0:38] Bonjour Olivier Mével.
Olivier Mével:
[
0:40] Bonjour Jérôme.
Monde Numérique :
[
0:42] Fondateur de la société Multiplié, qui est une maison d'édition, mais d'édition d'objets, et des objets pour le moins insolites, on va le voir. Olivier, on s'était rencontré sur Monde Numérique il y a déjà plusieurs années, vous aviez ressorti un Minitel, un truc complètement fou, mais un Minitel tout petit, on ne va pas refaire l'histoire. Aujourd'hui, vous lancez un appareil assez étrange qui s'appelle tout simplement la machine. Comment est-ce qu'on peut le décrire, cet objet ?
Olivier Mével:
[
1:09] Alors la machine, c'est un cube de 7 cm d'arête qui est muni d'un interrupteur. Et lorsqu'on pousse l'interrupteur, une partie de la machine s'ouvre et un bras vient refermer, vient repousser l'interrupteur. Alors, ce n'est pas du tout moi qui ai inventé ça. Ça a été inventé en 1952 par un pionnier de l'intelligence artificielle qui s'appelait Marvin Minsky et dont le chef trouvait aussi très bien d'inventer des gadgets. Son chef, c'était Claude Shannon qui était l'inventeur de la théorie de l'information. Donc, c'était vraiment des intellos de l'informatique. et ces deux-là, ils ont inventé cette machine qu'ils ont appelée la machine ultime.
Monde Numérique :
[
2:03] Donc, c'est un petit cube qu'on peut, par exemple, poser sur son bureau. Et puis, on pousse la manette, l'interrupteur, qui a une grosse boule rouge, on pousse avec le doigt et automatiquement, le petit levier qui sort va refermer la machine. C'est-à-dire que c'est un mouvement sans fin où, finalement, la machine fait le contraire de ce qu'on lui demande.
Olivier Mével:
[
2:25] Voilà. Alors, ce qu'on peut rajouter, c'est que... Donc ça, c'est... De certaine façon, j'ai repris le concept initial, mais on a quand même rajouté un certain nombre de choses, notamment le son, c'est-à-dire qu'en fait, elle fait des sons, elle émet des sons. Parfois, elle est un peu énervée, parfois, elle a envie de jouer, parfois, voilà. Évidemment, le bras a aussi ce qu'on appelle des chorégraphies, mais de temps en temps, il y va lentement, de temps en temps, il hésite, de temps en temps, il y va rapidement, etc. Donc, on a rajouté tout ça à la machine ultime de Marvin Minsky. Et ce qu'on a aussi fait, parce que la machine, à l'époque, n'était pas très, très belle. Donc là, on a confié le design à une agence qui s'appelle Helium Studio, qui a fait beaucoup, beaucoup de produits. Et c'est eux qui ont designé la machine avec des couleurs, avec une influence de Ettore Sotsas, le designer italien. Bon, bref, il y a quand même beaucoup de travail autour de ce simple concept.
Monde Numérique :
[
3:47] Alors, j'ai envie de dire, et le prenez pas mal, mais à quoi ça sert ?
Olivier Mével:
[
3:52] Ça ne sert à rien. Ça ne sert à rien, mais ça ne sert à rien comme quand on joue avec son chat, par exemple. Ça ne sert à rien. Finalement, c'est un jouet, mais un jouet au sens assez pur. On joue avec cet objet, c'est un passe-temps, il n'a pas une utilité immédiate. En même temps, je trouve que ça questionne un peu aussi l'utilité d'autres objets, parce qu'on peut se dire, celui-là, il est clairement inutile, mais les autres, si on y réfléchit, est-ce qu'ils sont si utiles ? Les objets électroniques, notamment. Donc voilà, mais en tout cas, oui, le slogan de la machine, c'est « être utile ne sert à rien »,
Olivier Mével:
[
4:40] donc ça résume assez bien l'objet.
Monde Numérique :
[
4:45] Oui, on comprend bien qu'il y a une portée symbolique, il y a une portée poétique même. Si on revient à l'origine, pourquoi ça s'appelait « la machine ultime » ?
Olivier Mével:
[
4:55] Parce qu'il considérait qu'en fait, il n'y avait pas plus absurde. Je pense que c'était pour ça aussi, parce que Marvin Minsky, il explique que c'était le plus absurde de tous les gadgets qu'il ait jamais vus. Et que finalement, on la met en route et puis la seule chose qu'elle a envie de faire, c'est de s'éteindre. Donc voilà, il considérait ça comme ultime. Après, c'était la même époque, il y a l'écrivain de science-fiction Arthur C. Clarke qui avait vu cette machine sur le bureau de Claude Shannon et qui lui avait été fasciné, mais l'avait qualifié de sinistre. Il disait « j'ai jamais rien vu de si sinistre », mais il était fasciné par cet objet. C'est un objet qui a beaucoup vécu. Il y a eu beaucoup de ces dix dernières années de makers qui s'y sont essayés, donc il y a tapé... Alors, elle a eu une autre... Il y a un autre nom que la machine ultime, qui est peut-être moins sexy, mais qui est la boîte inutile, Useless Box. Et donc là, quand vous tapez Useless Box sur Google, il y en a des dizaines. Voilà. Voilà.
Monde Numérique :
[
6:12] Et pourquoi est-ce que vous avez eu l'envie de refaire cette machine, surtout si vous dites qu'il y en a déjà des dizaines ?
Olivier Mével:
[
6:20] Alors, il y en a déjà des dizaines, pas tellement à acheter, mais en tout cas, il y a eu plein de makers qui ont essayé de faire leur propre version. Néanmoins, moi, j'ai toujours trouvé qu'elle était quand même un peu maltraitée. Elle n'était pas très belle, il n'y avait pas tout, il n'y avait pas de son, il n'y avait pas tout un travail autour du... Du côté vivant. Et puis, moi, il faut se rappeler qu'il y a 20 ans, j'ai créé avec Raphaël Adjant un objet qui s'appelle le Nabastag, qui était créé au départ comme quelque chose d'un peu inutile, avec des humeurs, des choses comme ça, puis on avait rajouté plein de choses utiles, parce que je pense qu'on avait aussi du mal à assumer, même si 20 ans après, en fait, les gens qui réutilisent en Nabastag trouve que c'était juste les fonctions inutiles qui sont restées intéressantes. Et donc, je me suis dit, finalement, je vais aller jusqu'au bout, quoi, et de l'exercice de l'objet inutile. Et ça, vraiment, c'était parfait. Moi, ça fait dix ans que je veux revisiter cet objet. Voilà, c'est le moment.
Monde Numérique :
[
7:34] C'était une envie de longue date, alors.
Olivier Mével:
[
7:36] Ah oui, oui.
Monde Numérique :
[
7:37] Et si on devait faire un lien avec l'intelligence artificielle d'aujourd'hui, parce que vous dites effectivement Marvin Minsky, on peut dire que c'est le père ou l'un des pères de l'intelligence artificielle, bien avant ChatGPT, etc. Mais bon, c'est juste une fantaisie qui est née dans la tête d'un génie où il y a véritablement, selon vous, un lien, une filiation avec l'intelligence des machines aujourd'hui ?
Olivier Mével:
[
8:05] Alors, d'abord, je pense que l'intelligence artificielle de Marvin Minsky, moi, je ne suis pas un spécialiste, mais elle avait très peu de rapports avec l'intelligence artificielle générative, statistique, en fait, actuelle. C'est-à-dire, eux, ils étaient dans un truc de modéliser le cerveau. Après, je pense qu'il ne faut pas non plus se prendre trop au sérieux. Je pense que Marvin Minsky et Claude Shannon, c'était un peu... À l'époque, il y avait encore des personnages comme ça dans l'informatique qui étaient à la fois des génies, mais Claude Shannon, c'était un type aussi qui jonglait pendant toute la journée.
Olivier Mével:
[
8:45] Je pense qu'ils étaient là, ils s'amusaient avec de la technologie, ils faisaient des souris qui se baladaient dans les labos. Donc je pense qu'il ne faut pas non plus exagérer un peu la portée mais néanmoins, il n'y a pas d'IA générative dans la machine tout est fait à la main, les sons sont faits à la main, la programmation, etc. Le côté vivant, les algorithmes, tout est fait à la main, Et je trouve qu'il y a quand même un peu un mini pied de nez, finalement, ou clin d'œil à la technologie d'aujourd'hui. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, moi, je trouve quand même tout ce qu'on appelle la high-tech, elle a quand même un côté un peu sombre. Je ne parle pas seulement politiquement, mais même les réseaux sociaux, l'IA actuelle. Je ne sais pas, ce n'est pas la voie que j'utilise, comme tout le monde. Mais il y a un côté un peu effrayant et de voir qu'on peut faire avec de la technologie, avancée, ça a l'air simple mais il faut quand même bien le faire faire des objets poétiques qui font sourire d'ailleurs j'ai plein de retours de gens qui me disent on a vraiment besoin d'objets comme ça.
Olivier Mével:
[
10:14] Enfin ça change etc c'est un peu le lien avec l'IA d'aujourd'hui qu'on peut faire Donc.
Monde Numérique :
[
10:23] C'est un peu le joujou qu'on peut installer sur son bureau pour montrer à quel point on est intelligent. Et la preuve, on passe du temps à faire des choses, à jouer avec un truc totalement inutile et futile.
Olivier Mével:
[
10:36] Oui, enfin, intelligent ou sensible.
Monde Numérique :
[
10:40] Oui. Alors, on le trouve où, cet appareil hors du commun, cette machine ? Combien elle coûte et où est-ce qu'on la trouve ?
Olivier Mével:
[
10:49] Alors, on la trouve. Donc là, elle est en précommande. on la trouve sur le site la-machine.fr elle est en précommande on est en train de réaliser les moules d'outillage plastique et elle sera livrée février 2026 ah.
Monde Numérique :
[
11:05] Ouais c'est pas pour tout de suite.
Olivier Mével:
[
11:07] Malheureusement c'est pas pour tout de suite c'est pas pour Noël, et là ça a démarré très très vite on est vendu à peu près 2000 en quelques semaines La moitié, c'est les Américains. L'autre moitié, c'est les Français, à peu près.
Monde Numérique :
[
11:26] Et elle coûte 79 euros. Olivier Mével, sur le plan un peu plus pratico-pratique, comment est-ce qu'on crée un objet comme ça en France où on dit qu'il est tellement difficile de faire du hardware ? Alors bon, ce n'est pas un smartphone, mais malgré tout, ce type d'objet, comment vous faites ? Vous partez d'une idée, après vous allez le faire faire ailleurs. ailleurs, il y a une partie hardware, il y a une partie software, ça se passe comment ?
Olivier Mével:
[
11:53] Oui, alors déjà, oui, la machine, elle est fabriquée en France, alors ça déjà, c'est quand même aussi un challenge. Comment on fait ? En fait, on part, alors moi, ça fait 20 ans que je fais ça, donc je suis capable de mettre au point une espèce de one-man show un, Le prototype, il y a un peu de mécanique, d'impression 3D, de l'électronique et du logiciel. Et ensuite, alors ça, ça peut être fait par des équipes, mais là, moi, j'arrive à le faire tout seul, surtout sur des produits qui ne sont pas très compliqués, comme celui-là. Et ensuite, en fait, et ça, ça se fait en un mois, en deux mois. Et ensuite, on passe quasiment un an à réaliser une vraie carte électronique avec toutes les normes, le fait qu'elles ne consomment pas, etc., réaliser du logiciel, faire l'industrialisation du plastique, tout ça, ça se fait en France, il y en a plein. Après, ce qui est plus compliqué, c'est effectivement la fabrication, parce que c'est toujours beaucoup plus facile de fabriquer en Chine, parce que, tout simplement, c'est là-bas que les produits électroniques se font.
Olivier Mével:
[
13:08] Moi, ce que j'ai choisi, c'est justement de faire l'exercice de me dire celui-là on va le faire en France, donc c'est fabriqué à Caen, dans la banlieue de Caen, Normandie, et assemblé là-bas, voilà, donc ça c'est plus compliqué c'est plus cher évidemment, mais, voilà, là ce coup-ci je me suis dit ça serait quand même pas mal pour un objet aussi inutile de ne pas en plus être fabriqué à l'autre bout de la planète.
Monde Numérique :
[
13:37] Et alors en plus c'est un produit qui est en open source, c'est ça ?
Olivier Mével:
[
13:40] Oui, tout est open source. Le logiciel, la mécanique, il y a les fichiers, vous pouvez le réimprimer. L'électronique, refaire le circuit. Vous pouvez complètement le personnaliser si ça vous amuse.
Monde Numérique :
[
13:59] Est-ce que c'est un produit qui est évolutif ? Est-ce qu'il pourrait faire plus ? Est-ce qu'on pourrait le hacker pour lui faire faire encore d'autres choses ?
Olivier Mével:
[
14:08] On peut. parce qu'il est open source. Alors, il n'est pas connecté à Internet, même s'il pourrait, mais moi, je tiens à ce que ça soit un produit qui reste comme ça, tel quel, qui ne dépend pas de serveurs ou d'appli. Mais oui, on peut lui faire faire plein de choses. Alors, moi, ce n'est pas du tout ma philosophie. Je pense qu'il en fait déjà bien, bien, bien trop, presque peut-être, avec des milliers de comportements. En revanche, oui, il y a des gens qui me disent « Ah oui, mais si on pourrait appuyer sur le bouton, et puis ça allumerait la lumière, etc.
Monde Numérique :
[
14:43] » Pourquoi pas ?
Olivier Mével:
[
14:44] Mais ce n'est pas la philosophie.
Monde Numérique :
[
14:49] Ok, on va attendre février 2026 pour voir cette chose étrange, peut-être arriver sur nos bureaux, la machine, la machine sur la-machine.fr. Merci beaucoup, Olivier Mével.
Olivier Mével:
[
15:04] Merci.