La récente décision de Meta de suspendre partiellement le fact-checking illustre la difficulté de faire cohabiter plusieurs législation sur Internet.
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La décision de Mark Zuckerberg de plus faire vérifier les informations sur ses réseaux par des “fact checkers” a été perçue en Europe comme une capitulation face à la désinformation. En fait, cela pose une question plus large : comment vivre dans un espace numérique global où chaque pays impose ses propres règles ?
Les réglementations concernant l'information en ligne divergent considérablement entre les États-Unis et l'Union Européenne. Du coup, les critiques s'intensifient, illustrant les tensions entre une approche mondiale et des législations nationales spécifiques.
Les géants technologiques, confrontés à des injonctions opposées, doivent s'adapter à des lois nationales souvent contradictoires. L’Internet mondialisé complexe, fait de régulations éclatées, risque de se transformer peu à peu en espace numérique fragmenté et cloisonné, le fameux "Splinternet".
Transcription :
[0:01] La récente décision de Meta, la maison mère de Facebook, Instagram et WhatsApp, de ne plus soumettre certains contenus au fact-checking a provoqué une véritable
[0:10] onde de choc, particulièrement en Europe. Alors que les plateformes numériques sont régulièrement accusées de laisser proliférer la désinformation, cette annonce a été vraiment reçue comme un renoncement à la lutte contre les fake news. Mais au-delà de cette polémique, c'est une décision intéressante car elle illustre un problème bien plus large.
[0:31] Espace numérique global où chaque pays impose ses propres règles. Pour Meta, l'abandon partiel du fact-checking s'inscrit dans une logique d'uniformisation de ses pratiques à l'échelle mondiale. La plateforme affirme vouloir garantir la liberté d'expression et éviter d'être perçu comme un arbitre de la vérité. Aux Etats-Unis, où la liberté d'expression est protégée par le premier amendement, c'est une approche souvent applaudie. Mais en Europe, ça coince, car là, la régulation des contenus haineux, mensongers, etc. est beaucoup plus stricte.
[1:03] La liberté d'expression existe bien évidemment, mais elle est encadrée. La décision de Meta suscite donc l'indignation. Cet exemple de Meta est donc emblématique des tensions croissantes entre l'universalité des plateformes numériques et les particularités des législations nationales. On sait qu'aux Etats-Unis, la priorité est donnée à la liberté d'expression, même au prix de la diffusion de contenus qui nous semblent ici, de ce côté de l'Atlantique, complètement scandaleux, comme tout ce qui a rapport à la haine raciale, les discriminations, etc. Des lois comme le RGPD, le Règlement Général sur la Protection des Données, ou le DSA récemment adopté visent à encadrer les pratiques des entreprises technologiques. Le DSA impose aux plateformes de protéger les utilisateurs contre les contenus illégaux et dangereux.
[1:51] Dans d'autres régions du monde, les règles sont encore plus strictes. D'ailleurs, en Chine, les contenus sont rigoureusement filtrés par le Great Firewall, un système de censure massif qui bloque l'accès à de nombreuses plateformes occidentales. Et à l'inverse, certains pays, comme l'Afghanistan, sous contrôle des talibans, utilisent les réseaux sociaux à la fois pour contrôler l'information et pour diffuser leur propagande, ce qui crée un paradoxe, un outil global au service
[2:15] d'objectifs très locaux. Dans ce contexte, les géants de la tech sont donc confrontés à des dilemmes. Comment respecter des règles locales contradictoires tout en maintenant leur présence sur des marchés mondiaux ? Meta, Apple, Google sont régulièrement accusés de plier sous la pression de gouvernements autoritaires tout en tentant de préserver une image éthique dans les démocraties. Apple, par exemple, a été critiqué pour avoir retiré des applications pro-démocratie en Chine tandis que Microsoft refuse de se conformer à certaines demandes autoritaires, quitte à perdre des parts de marché dans ce pays.
[2:53] X, ex-Twitter, applique des politiques de modération, on le sait, beaucoup plus souples depuis son rachat par Elon Musk, ce qui suscite des critiques, là encore, en Europe, où des propos jugés haineux ou désinformants peuvent être supprimés, alors qu'ils vont rester visibles ailleurs.
[3:10] Ces choix révèlent une tension constante entre considérations économiques éthique et légale. Du coup, cette diversité des règles nationales donne naissance à ce que les experts appellent le splinternet. Un internet fragmenté où l'expérience en ligne dépend en fait largement de l'endroit où l'on se trouve. On pourrait rêver, pour arranger les choses, d'une gouvernance mondiale du numérique. Mais ne rêvons pas trop car ça semble carrément difficile à mettre en œuvre. Des initiatives comme celle de l'ONU ou de l'Organisation mondiale du commerce.
[3:44] Tentent de poser les bases des bases communes, notamment en matière de cybersécurité
[3:48] ou de protection des données, mais ces efforts se heurtent aux intérêts divergents des nations. Une alternative pourrait donc être une sorte de gouvernance hybride, combinant régulation locale et normes globales sur des enjeux spécifiques comme la lutte contre la désinformation ou la cybercriminalité. Toutefois, la question demeure, quelles valeurs doivent primer dans cet espace numérique global ? Est-ce la liberté d'expression ? Et selon quelle perception ? Quelle acception ? Est-ce la sécurité ? La vie privée ? En fait, chaque pays, chaque culture, chaque individu même et chaque groupe social semble avoir sa propre conception et donc sa propre réponse à cette question. La décision de Meta de se retirer partiellement du fact-checking souligne donc avec acuité les limites d'un Internet global face à des régulations nationales éclatées. Et si rien n'est fait, le risque est grand de voir cet Internet de plus en plus se fragmenter, où chaque utilisateur évoluera dans un écosystème limité par des règles locales.
[4:51] Trouver un équilibre entre liberté et régulation, entre universalité de la technologie et diversité des lois, c'est la quête finalement d'Internet depuis longtemps, c'est souhaitable, mais cela relève à ce jour encore de la science-fiction. C'est donc bien l'Internet mondial qui pourrait cesser d'être un Internet partagé pour devenir un patchwork de zones numériques cloisonnées, marquées par des frontières invisibles, mais bien réelles.