Julien Villeret:
[
0:01] Chaque heure, on regarde jour comme nuit, hiver comme été, on regarde s'il y a bien du solaire, de l'éolien, du nucléaire, de l'hydraulique, de la géothermie, etc., qui vient répondre aux besoins de mes data centers.
Monde Numérique :
[
0:20] Bonjour Julien Villeret.
Julien Villeret:
[
0:22] Bonjour Jérôme.
Monde Numérique :
[
0:23] Directeur de l'innovation d'EDF, ravi de vous retrouver comme chaque mois dans Monde Numérique en partenariat avec EDF. Julien, c'est la course en intelligence artificielle, je n'apprendrai rien à personne. Derrière l'IA, on le sait, il y a les data centers, avec beaucoup d'annonces d'ailleurs à ce sujet, mais les data centers, ce sont des gouffres énergétiques. Et pourtant, les opérateurs du numérique ont promis d'aller vers moins de consommation énergétique, ou en tout cas moins d'émissions de gaz à effet de serre. Alors, comment est-ce qu'on résout cette équation ? Est-ce que c'est possible ?
Julien Villeret:
[
0:55] Alors, c'est très compliqué, mais il y a une voie, C'est possible et évidemment, le sujet est très technique, mais je vais essayer d'être vraiment le plus simple possible parce que c'est un sujet absolument fondamental pour notre avenir à tous, surtout les passionnés de la tech. Si on veut pouvoir continuer d'utiliser tous nos devices et toute cette intelligence artificielle sans trop mauvaise conscience, c'est vraiment quelque chose d'absolument clé. Alors, je ne sais pas si vous vous souvenez, mais dans les années 2020, 2015, 2020, tous les grands de la tech, les Microsoft, les Amazon, les Apple, ont tous dit qu'ils allaient être neutres en carbone en 2030.
Julien Villeret:
[
1:30] 2030, en fait, c'est dans cinq ans. Donc, on y est là. C'est vraiment tout de suite. Et ils y croyaient, en particulier en décarbonant leur data center. Mais l'arrivée de l'IA, les consommations énormes de ces nouveaux data centers dits hyperscalers, c'est-à-dire des data centers qui consomment une énergie en particulier absolument colossale, fait qu'ils se disent qu'on ne va peut-être pas y arriver.
Julien Villeret:
[
1:54] Et donc, c'est Google en particulier qui a fait ce constat en 2020 et qui s'est dit « Eh bien, moi, je vais essayer de faire émerger sur le marché des offres de fournitures d'électricité qui seront décarbonés 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. On appelle ça dans notre jargon les CFE 24-7, donc les Carbon Free Energy 24-7. En gros, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que jusqu'à présent, quand on disait mon data center est alimenté en électricité décarbonée, ce que tous les grands de la tech font déjà ou annoncent déjà, en fait, on fait un rapport annuel entre la consommation et la production. Mon data center consomme 100, donc je vais m'assurer que dans le pays où je suis, il y a au moins 100 de production d'électricité décarbonée. Donc décarbonée, ça veut dire renouvelable, nucléaire, donc des éoliennes, des panneaux solaires, du nucléaire, je l'ai dit, de l'hydraulique, etc. Et ça, évidemment, ça marche dans des pays où l'électricité est déjà largement décarbonée. Donc en France, vous le savez, 97% d'électricité décarbonée, mais en Suède aussi, où il y a beaucoup d'hydro, ou au Québec, où il y a beaucoup, beaucoup d'hydraulique aussi. Mais enfin, cette logique, elle est quand même très, très bancale, parce qu'en fait, on fait une moyenne annuelle, mais il y a quand même un grand nombre d'heures où l'électricité est produite à base de charbon ou de gaz, y compris dans ces pays.
Julien Villeret:
[
3:14] Google le disait dans un papier qui date de 2020, dans un article, son électricité consommée réellement est décarbonée à 96% dans certains pays, mais seulement à 3% dans d'autres. Dit autrement, il y a des pays où ils ont seulement 3% d'électricité propre, ce qui n'est quand même pas tout à fait à la hauteur des engagements qu'ils ont pris.
Monde Numérique :
[
3:35] On peut les citer sans les marquer au fer rouge ?
Julien Villeret:
[
3:39] Oui, alors, non, mais par exemple, pour prendre des pays qui peuvent paraître, ça peut paraître un peu caricatural, mais tous les pays en ce temps, dont le nom se termine en "-stan" en Europe, clairement, sont des pays très, très carbonés. La Pologne est un pays très, très carboné. L'Allemagne est un pays très, très carboné qui produit principalement à base de charbon et de gaz. Les États-Unis sont assez carbonés puisqu'il y a beaucoup de centrales thermiques également aux États-Unis. Donc, en fait, c'est vraiment dans tout type de pays et de géographie Et là, je ne parle pas de la Chine, je ne parle pas de l'Inde, etc., qui sont des pays qui se décarbonent vite, mais qui gardent encore une production carbonée extrêmement importante. Donc, l'idée de cette décarbonation complète de l'électricité des data centers, elle réclame de la tech. Elle réclame vraiment une révolution technologique pour pouvoir,
Julien Villeret:
[
4:23] au lieu de regarder le sujet à un pas annuel, le regarder chaque heure. C'est-à-dire, chaque heure, on regarde, jour comme nuit, hiver comme été, on regarde s'il y a bien du solaire, de l'éolien, du nucléaire, de l'hydraulique, de la géothermie, etc., qui vient répondre aux besoins de mes data centers.
Julien Villeret:
[
4:41] Et donc, pour arriver à ça, évidemment, cet objectif de 100% d'électricité décarbonée en 2030, qui est donc cette ambition de Google, de Microsoft et de tous les autres, Ça veut dire qu'il faut être capable de suivre, heure par heure, à la fois la consommation de chaque data center, mais aussi les moyens de production qui sont mis en route en face. Et donc, ça, c'est évidemment quelque chose qui est assez compliqué, mais on a des solutions techniques et technologiques. Et par exemple, il y a une solution qui est très connue. Il y a une startup danoise qui s'appelle Electricity Map, qui est très connue des connaisseurs, qui couvre 230 régions dans le monde, parce qu'un pays peut correspondre à plusieurs régions, par exemple aux USA. Et vous pouvez tous l'utiliser sur votre smartphone, Electricity Map vise à justement donner en temps réel l'émission de CO2 des moyens de production, de chaque moyen de production.
Julien Villeret:
[
5:34] En l'occurrence des pays où ils sont présents, pour pouvoir faire ce matching. Donc, c'est vraiment quelque chose qui est très fin, qui est très technique, parce qu'il faut que je puisse savoir à n'importe quel moment, combien j'ai d'éoliennes qui tournent et quelle électricité elles produisent, Combien j'ai de panneaux solaires qui reçoivent les rayons lumineux et combien ils produisent, etc. Pour chacun des actifs de production et pas l'ensemble agrégé de toutes les centrales.
Monde Numérique :
[
6:06] Et on a suffisamment de data pour alimenter tout ça avec une fiabilité suffisante ? On est certain des informations qui sont collectées ?
Julien Villeret:
[
6:15] Alors justement, non. Et c'est un des enjeux majeurs et des freins majeurs aujourd'hui. Donc, beaucoup de sociétés, beaucoup de startups travaillent à mettre justement des capteurs, à faire remonter de la data dans des différents systèmes d'information pour avoir ce type de données, mais aussi créer, et ça, c'est le deuxième concept qui est très important, créer de la flexibilité. Ça veut dire quoi la flexibilité ? Ça veut dire que si je veux pouvoir avoir soit une production d'électricité totalement décarbonée, soit une consommation d'électricité à des moments où l'électricité est totalement décarbonée, il faut que je puisse faire varier à la hausse et à la baisse les deux. On comprend bien qu'évidemment, si j'ai une énorme consommation d'électricité dans le réseau et que je n'ai pas assez d'énergie renouvelable ou d'énergie décarbonée pour y répondre, il va falloir que je lance des moyens de production d'électricité moins propres, des centrales à gaz, des centrales à charbon pour compenser puisqu'il faut qu'en permanence la consommation et la production soient équilibrées. Donc là arrive une deuxième notion qui est aussi permise par la technologie c'est ce qu'on appelle la flexibilité. La flexibilité ça veut dire qu'on rend pilotable.
Julien Villeret:
[
7:26] Donc, on met finalement des systèmes intelligents, des systèmes smarts dans des équipements électriques qui permettent en gros de les arrêter à distance ou en tout cas de les moduler à distance. Par exemple, les bornes de recharge de voitures électriques, les pompes à chaleur qu'on peut avoir à la maison pour se chauffer ou d'ailleurs pour se rafraîchir quand c'est de la climatisation. Il y a même une forme de flexibilité qu'on a tous chez nous en France. Il y a des millions et des millions de gens qui font de la flexibilité sans le savoir quand ils ont un ballon d'eau chaude électrique. Le ballon d'eau chaude électrique en France, en fait, il s'allume pour se chauffer la nuit. C'est-à-dire quand il n'y a évidemment pas besoin de beaucoup d'électricité parce que les gens dorment, les bureaux sont fermés, les industries sont arrêtées. Et il restitue cette chaleur le jour quand on a besoin de prendre une douche sans avoir à venir prendre sur le réseau. Et donc, ces équipements smarts qui sont contrôlés par des apps, reliés à Internet, pilotables souvent par des API pour qu'on puisse justement les piloter à distance, permettent finalement d'assurer qu'à un instant T, ma consommation d'électricité va être 100% décarbonée et ne va pas aller générer finalement une demande trop importante pour le système électrique décarboné et du coup va réclamer d'allumer des centrales à gaz, des centrales à charbon en plus. Donc tout ça, c'est vraiment ce qui va permettre à la fin de s'assurer que mon data center.
Julien Villeret:
[
8:51] En France, mon data center en Ouzbékistan, mon data center dans le Midwest américain, il va être alimenté avec une électricité garantie 24 heures sur 24, chaque heure, à chaque moment de la journée, avec une électricité décarbonée. Donc, c'est une vraie révolution technique et technologique pour tout le monde, à la fois pour ceux qui ont les data centers, mais aussi pour ceux qui produisent l'électricité. Et c'est quelque chose d'absolument passionnant.
Monde Numérique :
[
9:17] Et alors, question, là, on parle au futur, on parle au présent. Il y a déjà des data centers qui sont pluggés sur ces installations ?
Julien Villeret:
[
9:25] Exactement, et il y a déjà des data centers qui font ce travail de modulation finalement de leur consommation en fonction du moment et du type d'électricité disponible sur le réseau, mais il y a aussi surtout des contrats d'approvisionnement qui sont passés. Par exemple, il est public, donc je peux le dire, Microsoft l'a annoncé, Microsoft a fait un grand appel d'offres européens pour justement que des fournisseurs d'électricité comme EDF et comme beaucoup d'autres en Europe soient capables de lui fournir cette électricité garantie 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, zéro carbone. Et c'est quelque chose de très complexe. Je crois qu'on l'a compris avec mon explication. Donc, ça demande beaucoup de travail. Mais on est tous, tous les opérateurs et les fournisseurs d'énergie et les producteurs
Julien Villeret:
[
10:05] d'énergie sont en train de travailler à ces offres. Donc, c'est une réalité ici et maintenant. Mais comme je l'ai dit, tous les grands de la tech se sont donnés jusqu'à 2030 pour réussir ce pari. Donc, il nous reste 5 ans pour finalement réussir d'un point de vue mondial. Donc, c'est vraiment quelque chose qui est pour tous les opérateurs et les producteurs et les fournisseurs d'énergie d'être capables de fournir ces contrats très spécifiques, garantis, électricité verte, tout le temps, toute l'année, chaque heure, quel que soit le temps, quelle que soit la consommation, même quand il fait très froid, même quand il fait très chaud. Bref, c'est un enjeu assez extraordinaire.
Monde Numérique :
[
10:39] Merci, Julien Villeret, directeur de l'innovation d'EDF.